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LYON. — IMPRIMERIE MOUGIN-RUSAND
EMMANUEL VINGTRINIER
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THÉÂTRE A LYON
AU
XVIIF SIÈCLE
LYO'H.
METON, LIBRAIRE-ÉDITEUR
Rue de la République, }5
1879
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AIT AIMÉ VINGTRINIER
Bibliothécalrc-AJjoint de la Ville de I.yon
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EMMANUEL VINGTRINIER
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LE
THÉÂTRE A.LYON
PENDANT LE XVIIl' SIÈCLE
Ecrire Thistoire du théâtre à Lyon, ce serait suivre,
dans toutes ses phases, le développement de l'art drama-
tique en France. C'est au xn* siècle qu'il faudrait remon-
ter pour trouver les premières traces de jeux scéniques
dans notre ville. On sait que, plus tard, au temps de
.Charles VU et de Louis XI, les clercs représentaient les
beaux mystères dans les églises; le peuple lyonnais était
si avide de ces spectacles pieux, qu'il abandonnait tout
pour y assister, même la garde des portes de la ville. Les
associations laïques qui se formèrent au xv® siècle, sous
le nom de confréries de la Passion, donnèrent fréquemment
à Lyon^ sur des théâtres improvisés^ les spectacles des
histoires dialoguées de l'Ancien et du Nouveau-Testament.
Nos célèbres imprimeurs du temps nous ont transmis
plusieurs de ces compositions bizarres et incorrectes, où
l'on rencontre un si curieux mélange de foi naïve et de
grossières inventions.
Mais il n'entre pas dans le cadre de cette çtude de
remonter aux origines de l'art dramatique à Lyon. Il
suffira de les rappeler.
2 LE THÉÂTRE A LYON
Le premier théâtre permanent que cette ville ait pos-
sédé, celui de Jean Neyron, construit en 1540, près de
Téglise des Augustins, et sur lequel furent représentés
les ouvrages du poète Choquet, fut fermé huit années
après par le consulat : les moralités tournaient à la farce
et prenaient un caractère licencieux. Après les guerres
de religion et jusqu'à la fin du xvii* siècle, aucun spec-
tacle permanent n'existait à Lyon ; mais les troupes de
comédiens qui parcouraient la France y faisaient de longs
séjours. Personne n'ignore, qu'au début de sa carrière,
Molière vint à diverses reprises avec sa troupe nomade,
dont la Béjart faisait partie, et que c'est dans une troupe
de campagne établie à Lyon qu'il recruta les demoiselles
Du Parc et de Brie (i).
Excellent acteur, mais encore inconscient de son génie,
le grand homme jouait des pièces écrites par des auteurs
de province. A Lyon, il défraya, pendant trois mois, le
poète d'Assoucy ; Claude Basset, secrétaire de l'archevé^
que Camille de Neufville, avocat distingué du barreau
lyonnais, esprit vif et élégant, écrivit pour Molière sa
tragédie i'Iréne. Le Théâtre Français du genevois Samuel
Chappuzeau (2) fut aussi représenté dans notre ville par
le modeste comédien, qui donnait pour la première fois
son Etourdi dans une salle de jeu de Paume du quartier
Saint-Paul.
Uiie affluence extraordinaire de spectateurs était venue
(i) Recherches sur tes Tljédires de France de 1161 à 1735, par de
Beauchamps, p. 366-367.
(2) Samuel Chappuzeau, historien, poète, traducteur, né à Genève,
mortàZel en 1701, a séjourné à Lyon où plusieurs de ses ouvrages
furent imprimés; son Théâtre français le fut en 1674. — Reime du
Lyonnais^ V. 321 : Biograph, univer,; Ménestrier, Divers caract. p. 271 ;
Barbier, Anonymes.
1
LE THÉA'iRE A JLYCtt^ 5
applaudir Molière. Le peuple l'avait deviné, peut-être
avant qu'il se fût connu lui-même. Son séjour à Lyon et
les souvenirs qu'il y laissa donnèreïit une impulsion nou-
velle au goût dramatique, et l'exemple du poète-comédien
ne fut probablement pas étranger au développement qu'y
prirent les vocations théâtrales (i).
I
L'Opéra à Lyon — L'Académie royale de musique. — La salle de
la rue du Garei — La salle de Bellecour. — Le théâtre du Gouver-
• nement — Direction de Legay et de M^ic Desmarest.
Après l'introduction de l'opéra français à Paris, due
à un Lyonnais, Pierre Perrin, connu sous le nom d'abbé
Perrin, quoiqu'il ne le fût pas (2), ce genre de spectacle
ne tarda pas à se répandre à Lyon et ne cessa d'y jouir
de la faveur publique.
A la fin du xvii^ siècle, un sieur Legay obtint d^s
lettres patentes qui lui conféraient le titre de directeur
de V Académie royale de musique à Lyon et le privilège
d'y donner des représentations théâtrales. Le consulat,
pour soutenir cett^ entreprise, conféra au sieur Legay
(t) Plusieurs études fort intéressantes ont été écrites sur le séjour
de Molière à Lyon. La plus complète est celle publiée par M. Brou-
choud, avocat à la cour de Lyon : Les origines du théâtre de Lyon,
mystères, farces et tragédies, troupes ambulantes Molière, avec fac-
similé, Lyon, Scheuring, 186$. On peut consulter aussi un impor-
tant travail publié en 1877, par M. Jules Loiseleur, sur les Points
obscurs de la vie de Molière,
(2) Pierre Perrin, né à Lyon, introducteur des ambassadeurs au-
près de Gaston, duc d'Orléans, est le premier en France qui eut le
privilège d'établir un opéra (le 28 juin 1659.) ^^ composa des opéras
et des poésies diverses, et mourut à Paris en 1680. — V. Biogr. univ.
. i
»
\
'I
4 LE THÉÂTRE A LYON
une pension de douze cents livres (i). On voit que le sys-
tème des subventions n'est pas créé d'hier.
La troupe lyrique s'installa d'abord dans une maison
de la rue du Garet. Ce local fut consumé trois fois par
des incendies ; et, en 1689, les missionnaires de Saint-
Joseph, dont le couvent était tout près de là, effrayés du
danger permanent qui résultait de ce voisinage, s'op-
posèrent au rétablissement de ce théâtre.
L'opéra se réfugia alors provisoirement dans une mai-
son de la place Bellecour. Ce fut là, sans doute, qu'on
joua, en 1690, l'opéra de Didon (2); en 1694, la Rtie Mer-
cière ou les maris dupéSy comédie en vers de Legrand,
et, en 1699, les Comédiens de campagne (3), pièce qui
était encore toute d'actualité.
Au mois d'avril 1701, la ville donna des fêtes et des
illuminations en l'honneur du duc d'Anjou et de ses frères,
les ducs de Bourgogne et de Berrj', qui revenaient de
Savoie. Le 9, les princes furent conduits au spectacle
et assistèrent à la représentation de Phaéion. Le 10, on
joua l'Europe galante^ avec un prologue dont le sujet
était l'union de la France et de TEspagne; cet ouvrage
lit tant de plaisir qu'on le rejoua le lendemain (4).
Des troupes d'acteurs italiens passaient souvent à Lyon
depuis le jour où Henry IV en avait fait venir pour les
fêtes de son mariage avec Marie de Médicis. Le 13 juillet
1703, une troupe italienne, installée dans la salle de
(i) Clerjon et Morin, Histoire de Lyon, t. VI, p. 260 à 263.
(2) Didon, tragédie en musique, Lyon. Thomas Amaulry, 1690
(dtalogue de la bibliothèque Coste, par Aimé Vingtrinier, 2 vol.
in-8).
(3) Lyon, chez Roux^ 1699, (répertoire lyonnais, fonds Coste).
(4) V. Clerjon, Hist, de Lyon, t. VI, p. 249.
LE THEATRE A LYON 5
Topéra de Bellecour, donna La vengeance de Colombinc
ou Arlequin heau^frère du grand TurCy avec la parodie
de l'opéra de Tancrède (i).
Le goût de nos voisins avait déjà chez nous des imi-
tateurs et la farce italienne se montrait sur nos théâtres
depuis les scènes bouffonnes que Molière avait interca-
lées dans quelques-unes de ses comédies : c'est ainsi que
les comédiens du duc de Lorraine représentèrent à Lyon,
en 1704, Le mari sans femme ou don Brusquin Dalvaradey
comédie en cinq actes^ ornée de musique, danses et inter-
mèdes, par Montfleury (2). La salle Bellecour servit en-
core à la représentation de quelques-unes des pièces de
l'avocat Barbier, dont le recueil était fort curieux : la
troupe du sieur Dominique y donna, pour la première fois,
le 18 août 1710^ V Heureux naufrage^ et, le 4 octobre
suivant, les Soirées d'été (3).
Mais, à cette époque, Bellecour n'était pas un endroit
central: en hiver surtout, les spectateurs qui allaient
à pied étaient obligés, après la représentation, de traver-
ser, pour rentrer chez eux, des rues tortueuses et mal
éclairées. L'Opéra fut transféré dans la rue Saint-Jean,
à côté de l'hôtel du Gouvernement.
Dès le 9 février 1707, Barbier fit jouer dans ce local
les Eaux de mille fleurs, comédie-ballet. Le goût de la
province était encore pour longtemps enchaîné aux rives
du Tendre. On s'étonne, lorsqu'on relit le Mercure galant
qui sj publiait à Lyon, de voir combien on raffolait, à la
fin du XVII* siècle, des fadaises qui s'imprimaient dans
(1) Recherches sur les théâtres, t.III.p. 197.
(2) Lyon, Langlois, 1704, fonds Coste.
(3) Recherches sur les théâtres, t, U, 496, et III, 168. — Répert.
lyonnais. Coste*
6 LE THÉÂTRE A LYON
ce recueil, La mythologie, les bergers et les bergères du
temps de VAstrie avaient repris uue nouvelle jeunesse
parmi le beau monde. La recherche des énigmes propo-
sées par le Mercure était devenue la grande occupation
des femmes d'esprit. On écrivait au rédacteur de ce jour*
nal :
« Vous avez tellement rendu à la mode le Genre éni^
gptatiqtcey qu'on s'en sert à tout. Si un galant veut faire
une déclaration à une belle, il ne saurait s'empêcher
d'employer ce style dans son madrigal; et s'il la veut
consoler de quelque perte, la violence de sa passion ne
l'engage pas plus fortement à lui dire quelques mots de
sa peine en la consolant, que la mode ne le pousse à lui
en parler en énigme (i). »
Un autre correspondant, non moins enthousiaste, ex-
primait en ces termes son sentiment :
^ « Vous ne saiiriez croire combien la lecture de ce livre
a dérouillé et dérouille tous les jours d'esprits dans les
provinces. On se raffine insensiblement le goût en exa-
minant les beautés des pièces choisies que l'on y trouve.;
»
et les esprits se subtilisent par les divers tours qu'ils sont
obligés de se donner pour trouver le mot de l'énigme. »
On voit, d'après ces extraits, que les épigrammes de
Molière n'avaient pas seulement un intérêt rétrospectif
et qu'ils s'attaquaient à des ridicules encore vivants.
D'ailleurs, pour revenir à l'avocat Barbier, il est juste
de dire qu'en homme d'esprit qu'il était, il ne s'enfermait
pas dans le genre maniéré et qu'il écrivait en auteur
fantaisiste, en amateur, plutôt qu'en homme du métier,
(i) L Extraordinaire du Mercure galant ^ imprimé à Lyon, chez
Thomas Amaulry, rue Mercière, t. I, lettre X. -^ (2) Id. t. I, lettre
LE THÉÂTRE A LYON 7
n'écoutant que sa verve. Nous en trouvons la preuve dans
sa comédie d^ Y Opéra interrompu ^ qui fut jouée en juil-
let 1707, par les comédiens italiens privilégiés du duc de
Viileroy. L'Académie Royale de musique représenta aussi,
dans la salle du Gouvernement, le 8 février 1708, la Fausse
alarme de VOpéray comédie de M. Abeille, et en 17 li,
La Promenade des Terreaux à Lyon^ sorte de comédie-
revue en trois actes et en prose, cotnposée par Dominique
dont le vrai nom était Pierre-François BiancoUelli (i).
Le nouveau local était lui-même assez défectueux;
l'espace y était trop étroit. Le procureur général de la
ville, Prost de Grange-Blanche, apportant ses lettres au
consulat, énutnéra les avantages d'un spectacle public
«qui attire les étrangers, occupe honorablement la jeu-
nesse, délasse les gens d'affaires et augmente les revenus
de cette communauté pair une plus grande consommation
de denrées et marchandises; » Il fit valoir surtout la vo-
lonté du maréchal de Viileroy, qui voulait avoir ses co-
médiens ordinaires dans sa vice-royauté, quand il lui
plairait d'y tenir sa cour. Le consulat, sous l'empire de
ces hautes influences, eut l'idée, en 1709, de faire cons-
truire la salle de spectacle près du port de la Feuillée et
d'en remettre gratuitement l'usage au directeur (2). Ce-
pendant, il finit par s'arrêter encore à une combinaison
provisoire.
Par une délibération du 23 mars 1713, il autorisa la
démolition d'une maison contiguë à l'hôtel du Gouverne-
ment, pour l'agrandissement de la salle d'Opéra, et les
travaux furent adjugés à un* sieur François Cotte, moyen-
Ci) Répert. Lyonnais (fonds Coste).
(2) Clerjon, Hislf de Lyon, loc. çitat,
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m w ■ ■ »
8 LE THÉÂTRE A LYON
nant le prix de 15,200 livres (i). Ce fut dans cette salle
ainsi aménagée que fut jouée, en 1722, une tragédie d'Œ-
dipCy due, suivant toutes vraisemblances, au père Folard,
professeur au collège de la Trinité et membre de l'Aca-
démie de- Lyon, qui composa vers le même temps plusieurs
ouvrages dramatiques (2). Ce fut. là aussi, qu'au mois
d'avril 1720, la duchesse de Modène, fille du Régent,
étant venue passer quelques jours à Lyon, fut conduite au
spectacle par l'archevêque Monseigneur de Rochebonne
qui faisait à cette princesse les honneurs de la ville (3).
Ce détail prouve bien qu'au commencement du xvm*
siècle et au contact d'une cour licencieuse, l'Eglise elle-
même s'était départie du rigorisme qu'elle avait montré
sous le dernier règne à l'égard de Molière et des gens de
théâtre.
La salle de l'Opéra fut incendiée, le 8 juin 1722, par
l'imprudence des comédiens italiens qui y avaient laissé
du feu après le spectacle ; elle n'en fut pas quitte pour
une « fausse alarme » et fut entièrement brûlée, si bien
(t) Un acte de vente de Thôtel du Gouvernement porte ce qui suit :
« Ledit feu seigneur maréchal de Villeroy ne fit l'acquisition de la
maison de ladite dame Pramiral que pour la commodité du public
et servir à V agrandissement de la salle des spectacles qui était
dans ledit hôtel du Gouvernement, ainsi qu*il a été reconnu par la
délibération consulaire du 23 mars 171 3, en exécution de laquelle la-
dite maison fut démolie et toutes les constructions nécessaires faites
pour augmenter l'étendue de la salle qui a été depuis incendiée par
l'imprudence dits acteurs » {Revue du Lyonnais 4c série, t. V, Janvier
1878, p. 52 et S 3)' — Tablettes chronologiques, par M. Péricaud.
(2) Folard (François Melchior), jésuite, né à Avignon le S octobre
168$, mort à Lyon le 19 février 1739. •— Repert. Lyonnais.
(3) Rev, du Lyonnais, 2* série, t. III, Petite chronique lyonnaise du
XVIIIe siècle, par M. Morel de Voleine, tirée de la correspondance
d'un magistrat avec un gentilhomme du Beaujolais. — Mgr de Roche-
bonne mourut en 1740.
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LE THÉÂTRE A LYON 9
qu'au mois d'août de l'année suivante, il se produisit un
éboulement dans la voûte des écuries du Gouvernement
qui se trouvaient au-dessous. Toutefois, le théâtre fut
relevé aussitôt. Legay et mademoiselle Desmarets, qui,
depuis 17 16, étaient chargés ensemble de la direction
du théâtre, reçurent .du consulat une somme de 800
livres à titre d'indemnité pour la perte du matériel (i);
et le 5 novembre 1723, une troupe de comédiens italiens
s'y installa pour une série de dix représentations (2).
Des réjouissances extraordinaires eurent lieu en sep-
tembre 1725 pour le mariage du roi, et, quatre ans après,
à l'occasion de la naissance du Dauphin, dont la nour-
rice était de Lyon (3). Ces fêtes, qui attirèrent des
étrangers, eurent sans doute un écho sur notre scène;
mais le spectacle était surtout au-dehors. C'était le
temps des feux d'artifice sur l'eau et des illuminations;
dans le grand monde, on étalait les splendeurs de la
pyrotechnie comme une mode et un luxe de bon ton;
dans le peuple, qui est toujours passionné pour les fêtes,
on en délirait. La ville fit alors des profusions de fusées
et des excès de lampions.
Le Jubilé de 1727 succéda aux réjouissances nationa-
les. Le théâtre fut fermé rigoureusement pendant toute
la durée de ce deuil religieux, et mademoiselle Desma-
rets, devenue seule directrice du spectacle, reçut, à ce
titre, du consulat une indemnité de cinq mille livres (4).
L'année suivante, les représentations reprirent leur
cours; mais la salle du Gouvernement redevint, une
(i) Tablettes chron, par M, Péricaud.
(2) Petite chronique Lyonnaise eod. loc. p. 186. — (4) eod. loc.
(3) Petite chronique lyonnaise, eod. loc. p. 362.
(4) Petite chronique lyonnaise, eod. loc, p, 186.
10 LE tHÉATRE A LYON
seconde fois, la proie des Aammes. Le consulat crut
devoir choisir un autre local.
On comprend qu'au milieu de tant d^épreuves, notre
scène ne pouvait avoir dans ce temps*là ni le confortable
ni les artistes distingués qu'elle posséda plus tard^
Comédiens et directeurs vivaient au jour le jour; c'est
avec des prodiges de courage qu'ils parvenaient à soute-
nir leur entreprise, la subvention était dérisoire et la
générosité de 'quelques amateurs ne produisait que des
sommes relativement minimes. Il est curieux de connaî-
tre l'impression qu'une femme du monde avait gardée
d'une soirée passée, vers cette époque, au théâtre de
Lyon î
« Nous fûmes toute une bande à l'Opéra, dit M"* du
Noyer, et nous y arrivâmes fort à propos pour aider à
ces pauvres gens à en payer les frais, car la foule n'y
est pa^ ordinairement fort grande. Mais aussi qu'est-ce
que c'est que cet opéra? On jouait BeUérophoriy et Bac-
chus et Pan parurent, chacun un manche à balai à la
main. Les machines montraient la corde, les habits des
acteurs étaient des plus crasseux et l'orchestre répondait
parfaitement à la magnificence du théâtre » (i).
Malgré le ton d'ironie dédaigneuse avec lequel l'auteur
des Lettres historiqms et galantes s'exprime sur une scène
deprovinUy il est facile de démêler dans cette appréciation
la part de la vérité.
(i) Mnïcda Noyer, Lettres historiques et calantes, t. 174, t. II p. 196,
LE THÉÂTRE A LÏOK It
II
Le Théâtre des Terreaux. — L'Académie des Beaux- Arts et le Con-
cert des Cordeliers. — Les nouveaux directeurs : Maillefer, Monnet,
Préville. — Le Carnaval de 1750. — Artistes Lyonnais. — Le plan
de Soufflot.
L'opéra fut installé, en 1728, dans une maison, ser-
vant de jeu de paume, que la ville avait acquise d'un
sieur Bron et qui était située sur la courtine du Rhône,
derrière le jardin de THôtel-de-Ville (i). C'était encore
mn établissement provisoire; le consulat voulait attendre
d'avoir les ressources nécessaires pour construire une
scène digne de la ville de Lyon.
Le théâtre traversait une crise. On y jouait rarement
la comédie, parce qu'il ne s'y trouvait, au dire d'un
contemporain, « que des libertine et des filles de joie. »
Mademoiselle Desmarets, qui avait encore le privilège de
Topera, tâchait de faire des recettes pendant le carna-
val en substituant aux représentations dramatiques deux
grands bals par semaine ; l'entrée coûtait trois livres (2).
D'ailleurs, le public choisi se laissait détourner par
d'autres spectacles. On avait loué, près du port de la
Feuillée, un appartement où des jeunes gens et des demoi-
selles de moins de douze ans se réunissaient deux fois
par semaine pour représenter la tragédie et la comédie.
On n y entrait qu'avec des billets distribués par les pa-
rents des acteurs, « qui, en général, avaient du talent, »
(i) Clerjon, loc. chat.
(2) Petite chron. Lyon, 8 janvier 1735, p. 192.
12 LE THÉÂTRE A LYON
dit naïvement le chroniqueur (i). Les Jésuites du Grand-
Collège faisaient aussi jouer par leurs élèves, en présence
des familles, des pièces composées par les Pères de Tordre.
Ils allèrent jusqu'à faire exécuter devant le Consulat, le
20 Mai 1742, jour de la Trinité, un ballet qui avait pour
sujet : La Folie et la Sagesse (2)....
Mais le beau monde affectait un goût plus épuré.
Il allait au concert.
duelques amateurs avaient fondé, en 17 13, sous le
nom ai Académie des Beaux-Arts, une société pour don-
ner des concerts et, singulière association, tenir des
conférences sur la physique, les mathématiques et les
arts. Les séances eurent d* abord lieu sur le quai Saint-
Clair.
On y avait chanté, le 25 mai 1718, devant le marquis
d'Halincourt, à son retour de la guerre de Hongrie, le
Retour de Pyrrhus Néoptolème en Epire , après le siège
de Troyey idylle héroïque (3). En 1724, la société avait
été autorisée, par lettres patentes, à élever une salle de
concert sur la place des Cordeliers, à côté de l'église de
ce nom, qui possédait un orgue pour la confection du-
quel la ville avait donné cent écus, en 1592, et qui avait
eu pour organiste le célèbre Jean-Louis Marchand,
plus tard organiste à la chapelle du Collège Louis-le-
Grand (4).
Cet édifice, construit dans le goût italien, sur les dessins
de l'architecte milanais Pietra-Santa, renfermait, outre
(i) Id. 3 février 1754» P« 409-
(2) Tablettes chronologiques,
(3) Recherches sur les Théâtres de France j t. III, p. 197.
(4) Jean-Louis Marchand, qui passe pour avoir été le plus grand
organiste qu'il y ait jamais eu, naquit à Lyon^ le 2 février 1669, et
mourut i Paris, le 17 février 173^,
LE THÉÂTRE A LYON 1$
la salle destinée au concert, une bibliothèque et d'autres
lieux de réunion pour l'Académie des Beaux- Arts (i).
Cette société, composée de trente membres : artistes,
savants, littérateurs, compta dans son sein des noms
célèbres, malgré le mot de Voltaire qui disait d'elle
malicieusement : « C'est une honnête fille, qui ne fait pas
parler d'elle. »
Les concerts avaient lieu tous les mercredis, à cinq
heures du soir. Les étrangers qui passaient à Lyon y
étaient admis soit comme auditeurs, soit comme exé-
cutants, et des amateurs de distinction s'y faisaient ap-
plaudir par l'élite de la société ; le dilettantisme devenait
à la mode. Toute la noblesse courait entendre des sym-
phonies.
La salle du concert et ses dépendances furent cédées
à la ville, en 1741 ; dès lors, la société vécut sous la pro-
tection du duc de Villeroy et sous la direction du prévôt
des Marchands (2).
Tandis que le public subissait l'attrait de cette nou-
veauté, l'opéra battait de l'aile. Mademoiselle Desmarets
se soutint quelque temps par les générosités et les sacri-
fices de Camille Perrichon, prévôt des Marchands, chez
qui Louis Racine, alors directeur général des gabelles
(i) Les séances de TAcadémie des Beaux- Arts se tenaient une fois
par semaine. Il y avait chaque année deux assemblées publiques : la
première eut lieu le 2 décembre 1737 (Voir Chron, Lyon» loc. cit. p.
196). Le !«»• juin 1748, l'Académie obtint des lettres patentes particu-
lières qui la séparaient de la Société du Concert et lui permettaient de
s'assembler sous le nom de Société royale.
{2) Lyon ancien et moderney t. II, Grand-Théâtre. — Fragments sur
Lyon, par M. Morel de Voleine: Revue du Lyonnais^ t. XIX, 3« série,
février 1875.
14 i-E THÉÂTRE A LYON
de Lyon, faisait des lectures de son poème de la Rcli^
gion[i).
. Mais cette femme n'avait ni le talent, ni Tordre néces-
saire à une semblable entreprise. Elle faisait trop de
dépenses pour sa table et ses plaisirs. Sa retraite, deve-
nue imminente, eut lieu vers 1733; elle laissa la direc- ]
tion en fort mauvais état (2).
Maillefer, qui lui succéda, ne fut guère plus heureux au
point de vue commercial. D voulut soutenir Topera, pen-
dant plusieurs années, dans la plus grande magnificence,
quoiqu'il sût fort bien « qu'un opéra ne pouvait pas se
soutenir dans la province sans être à la charge de ceux qui
ien mêleraient (3) »
Du moins, ce directeur comprit ses fonctions en véri-
table artiste et sacrifia son intérêt personnel à celui du
public. Pendant les années qui s'écoulèrent de 1738 à
1745, notre Opéra donna tout le répertoire de TOpéra
de Paris. TAcadémie royale de musique joua, en 1739, le
Ballet de la Paix et le Ballet des SenSy Issey pastorale
héroïque, Jephté, Omphaky de Lamothe et Destouches,
Vénus et Adonis (4).
Cette année-là, le président de Brosses, dilettante en
toutes choses, passant à Lyon pour se rendre en ItaUe,
se montra très-satisfait de la salle de TOpéra, des chan-
(t) Louis Racine avait épousé, en avril 1728, une Lyonnaise, Marie
Presle, fille de Pierre Presle, seigneur de Cussieu et d*Unias, secrétaire
du roi et échevin en 17 10. Racine quitta Lyon en 1732, pour aller exer-
cer les mêmes fonctions à Soissons. Il fut reçu comme associé de l'Aca-
démie de notre ville.
(2) Archives de la ville de Lyon, 5érie DD, Théâtre, Projet pour
rétablissement du spectacle de Lyon, Observations des Actionnaires.
(3) Idem.
(4) Répertoire lyonnais (Biblioth. Coste).
LE THÉÂTRE A LV6N 1$
teurs et des danseuses. Mais là comme à Âix, où les
femmes étaient absorbées par le ]tn, comme à Avignon
et à Marseille, l'indifférence du vrai public étaif encc^re
bien grande (i).
Au nombre des opéras-ballets qui furent exécutés à
Lyon, sous la direction de Maillefer, il faut citer Tancride,
de l'académicien Danchet ; Us Fêtes grecques et romai-'
nés, ballet héroïque ; AjaXy Amadis de Grice ; les Amours
de Protie, Armide^ Hypermnestrey Pbilomile, Hippolyte et
Ariciey de Rameau ; le ballet des Itomans et les Amours de
Ragonde (2).
Maillefer, ruiné par les frais considérables qu'avait
entraînés Texécution d'un répertoire si variée fut rempla-
cé, en 174s 5 par Jean Monnet, homme d'esprit, presque
Lyonnais de naissance (3), auteur de plusieurs ouvrages,
éditeur de Y Anthologie Française, qui avait été déjà di-
recteur de rOpéra-Comique à Paris, en 1743, et qui le fut
de nouveau en 1752, après son court séjour à Lyon. Per*
suadé qu'il ne pourrait se soutenir uniquement par Tope-
ra, Monnet y joignit six ou sept bons sujets pour jouer,
alternativement avec l'opéra, des comédies et des opéras
comiques. Cette combinaison était excellente. Mais M*
de Varax, prévôt des marchands, qui n'entrait pas dans
les vues du directeur, le priva de ses fonctions poiu: les
remettre entre les mains d'un acteur, sous les ordres
d'un sieur Breton, qui ne semblait point avoir les qualités
convenables pour cette entreprise (4).
(1) U Italie il y a cent ans ou Lettres écrites d'Italie, Paris. 1826» t. i«%
p. 3, 28, 38.
(a) Répert. lyonnais.
(3) Kéà Condrieu (Rhône), il mounità Paris en 178$.
(4) Arch. de la ville, loc. citât.
ï6 LE THÉÂTRE A LYON
L'acteur dont il s'agit n'était autre que le jeune Dubus,
déjà connu sous le nom de Prévilk qu'il allait bientôt ren-
dre célèbre (i). C'était le fils d'un maître tapissier* La sé-
vérité de son père Tayaiit poussé à fuir de la maison,
il avait été recueilli par un moine, dom Népomucène,
qui l'avait recommandé à son frère, M. de Vaumorin.
Celui-ci avait pourvu généreusement à l'éducation du
jeune homme et l'avait placé, à l'âge de dix-sept ans, chez
un procureur au Châtelet. Toutefois, à la mort de son
protecteur, Dubus s'était engagé dans une troupe de cam-
pagne et avait joué successivement à Strasbourg, à Dijon
et à Rouen. Monnet^ qui dirigeait alors l'Opéra de Paris,
l'avait engagé pour la foire de Saint-Laurent, sur le bruit
de sa réputation naissante, et l'avait fait débuter le 8 juin
1743 ; mais Dubus avait bientôt quitté Paris pour ve-
nir remplir le premier rôle au théâtre de Lyon (2). Il
pouvait avoir environ vingt-six ans.
C'était un acteur très varié, doué de beaucoup 'de goût,
qui j oignait au profond sentiment de ses rôles l'art de
bien dire les vers. Il étudiait sans cesse et, quoique fort
jeune, son répertoire était déjà très étendu. La troupe
de Lyon ne pouvait que profiter sous l'influence d'un es-
prit vif et enthousiaste comme celui-là.
Nous n'avons pas retrouvé trace des pièces nouvelles
qui furent jouées de 1746 à 1730. Cependant, le beau
monde reprenait le chemin du théâtre et la direction fai-
(i) Pierre-Louis Dubus, dit Préville^ né à Paris le 19 septembre 1721 ,
mort à Beau vais le 18 décembre 1799. « Pré ville est admirable pour la
pantomime ; il est acteur jusqu'au bout des doigts, ses moindres gestes
font épigramme. Il charge avec tout l'esprit possible, c'est le Callot du
théâtre. » {Mémoires secret^ de Bachaumont, 30 janvier 1762).
(2) Nouvelle Viogr, génér.
LE THÉÂTRE A LYON 17
sait salle comble. Il était de bon ton d'arriver avec une es-
corte de valets de pied ; c'était une façon d'étaler sa for-
tune et ses quartiers de noblesse. Mais, comme ce public
parasite occupait une place précieuse et causait du tu-
multe pendant les représentations, une ordonnance du
duc de Villeroy, en date du 7 juin 1746, défendit aux
gens de livrée d'entrer aux spectacles, sous peine de pri-
son, et d'arracher les affiches desdits spectacles sous peine
d'amende et de prison (i).
En 1748^ le consulat, qui ne s'était guère montré pro-
digue jusqu'alors, se décida à accorder à la direction des
spectacles une subvention annuelle de cinq mille livres (2).
C'était encore bien mesquin; toutefois, cette augmenta-
tion de crédit témoignait de l'importance que notre théâtre
prenait de jour en jour.
Le carnaval de 1750 jfut particulièrement brillant.
L'Opéra donna chaque semaine quatre représentations et
deux grands bals. On joua Rolandy l'Europe galante^ la
Provençaky VActe du Jaloux , la Chercheuse d'esprit ,
l'Amour saltimbanque; Mademoiselle Sélim remplit avec
succès le rôle de Médée dans Médée et Jason et Mademoi-
selle Cartaud celui d'Iphigénie dans Iphigénie en Tauride.
On ne négligeait pas le ballet : Cuchet et Mademoiselle
Pachot dansaient la pantomime du Bouffon de cour;
Mademoiselle Camargo, la célèbre danseuse de l'Opéra de
Paris (3), qui ruina tant de seigneurs et amusa si long-
temps la cour et la ville, exécutait avec Guérin la pan-
(1) Jusqu'en 1790, les affiches du Grand-Théâtre commençaient ainsi :
Les Comédiens de Mgr le duc de Villeroy donneront aujourd'hui, etc,
(2) Tablettes cJjronologiques,
(3) Marie- Anne Cuppi, dite Camargo, née à Bruxelles en 17 10, est
morte à Paris en 1770.
2
l8 LE THEATRE A LYON
tomime du Jardinier^ et- Mademoiselle Anselin la Hollan-
daise (i).
La clôture du théâtre eut lieu le 2 1 mars, et, comme
on ne savait guère plus se passer de spectacle, des con-
certs spirituels occupèrent l'attention des mondains pen-
dant les vacances de l'Opéra.
Les comédiens (2) firent la réouverture, le 6 avril, par
Rhadamiste et Zénobie, tragédie de Crébillon, et VEs^
prit de contradiction ^ de Dufresny. « Ces deux pièces furent
jouées avec un succès et un applaudissement général,
dit le chroniqueur ; les partisans de Thalie doivent se
réjouir. L'on dit cette troupe bonne et composée des meil-
leurs sujets de la province ; le sieur Pré ville, chef et di-
recteur, comédien accompli en son genre, en est un sûr
garant (3). »
En effet. Préville sut faire la réforme que Monnet avait
tentée en vain. Il parvint à introduire sur notre scène
(i) V. les affiches de Lyon, année 17SO, feuille paraissant tous les mar-
dis. — La foire de Saint-Germain avait attiré aussi des baladins, des
sauteurs de corie, parmi lesquels on distinguait V Etoile italienne et
V Arlequin squelette. Le Point du Jour, tableau mouvant, était établi à
poste fixe dans un jeu de paume de la chasse royale, rue du Bœuf, et
plus tard place des Terreaux. « Les arts libéraux et méchaniques en co'm-
posaient les deux côtés par une centaine de figures dont les mouvements
variés et contraires étaient produits par une même force ; on y voyait
un coq chantant et battant des ailes, une aurore, un soleil levant, une
pluye, des éclairs, des tonnerres, etc. — Au milieu de ce tableau
était représentée la Nativité de N.-S. Jésus-Christ, les Anges, les Ber-
gers, les Mages ; tout ce qui concourut à la célébrité de ce grand jour
faisait la base et l'ornement de cette pièce, qui était suivie, sur la fin,
tantôt de la représentation de quelque fait de l'ancienne loi, tantôt
de quelque mystère de la nouvelle. »
(2) C'est la première fois qu'on dit « les Comédiens » au lieu de
« l'Académie royale de musique, »
(3) Affiches de Lyon, 1750.
LE THÉÂTRE A L\?ON I9
les meilleures pièces du répertoire comique et dramati-
que, qu^on jouait alternativement avec Topera. Cinna et
.Bajazet, Tartufe et le Menteur, Electre et Zaïre ^ Enée
et Dîdon tinrent TafEche à côté de Démocrite et du Retour
imprévu^ du Légataire universel et du Philosophe ma-
rié, du Jeu de V Amour éî du Hasard^ de Crispin rival
de son Maître et de vingt autres pièces non moins célè-
bres (i). Corneille et Racine, Molière et Regnard, Lésa-
ge et Marivaux, Voltaire et Crébillon, tous ces grands
noms, toutes ces grandes œuvres produites au grand jour
dans Tespace de quelques mois, excitaient un immense
enthousiasme ; c'était une série de révélations pour le
peuple lyonnais, dont l'esprit observateur et délié se plie
aisément à Tétude d'un caractère et aux combinaisons
d'une intrigue.
Les Lyonnaises, « qui aimaient beaucoup à être aimées
de leurs maris (2), » se pressaient à la représentation
du Préjugé à la mode, de la Chaussée, pièce morale s'il
en fut jamais, qui avait obtenu à Paris un grand succès
de vogue et combattait le préjugé qui faisait une honte
aux grands de montrer une passion bourgeoise pour leur
femme. Les Lyonnaises se pressaient au ballet pantomime
des Chasseurs et des Vendangeurs, dansé par la Camargo
et par le fameux Noverre (3), aux pirouettes de M"^
Lany, de l'Opéra de Paris^ et à celles de Bodin et de M"''
(i) Affiches de Lyon, 1750.
(2) Rev. du Lyonnais, t. VI, 4e série, juillet 1878, Journal des Nou-
velles de Paris de 1734 à 1738, p. 34.
(3) Noverre (J.-G.). célèbre compositeur de ballets; né à Paris en
1727, il y est mort en 18 10. Il enrichit presque tous les théâtres de
l'Europe de nombreuses compositions dont plusieurs eurent un immense
succès. On a de lui des Lettres sur les arts imitateurs et sur la danse
en particulier, 1807, 2 vol in-80.
20 LE THEATRE A LYON
Geoffroy, pensionnés par la cour de Turin. Elles cou-
raient aux débuts de M"* Froment, dans Iphigéniây aux
concerts des Italiens Chinzer et Vestri, musiciens du duc
de Modène, à ceux des Allemands Rucker et Héricourt,
aux arlequinades des sauteurs de corde et aux feux d'ar-
tifice de Prospero Toscani, le Ruggieri de ce temps-là (i).
Au milieu des soucis de sa direction, Préville avait
trouvé le temps de se marier. Sa femme, Madeleine-
Michelle-Angélique Drouin (2), était entrée comme lui
au théâtre de Lyon et s'était faite comédienne par
circonstance. Pendant trois ans , l'entreprise ne
cessa de prospérer. La renommée du jeune directeur
s'était rapidement accrue^ son talent avait atteint sa
maturité et sa perfection. A la mort d'Arnould Poisson,
en 1753, Pré ville fut appelé à Paris pour le remplacer;
ses débuts dépassèrent toutes ses espérances, et ses
succès furent prodigieux. Dès lors, il n'appartint plus
à la ville de Lyon ; mais, pendant les trente-trois ans
qu'il passa encore au théâtre, il reparut à plusieurs
reprises sur la scène qui l'avait formé.
Préville n'est pas le seul grand artiste que Lyon ait
envoyé dans ce temps-là aux théâtres de Paris. Sans
parler des compositeurs Leclair (3) et Dezaides, on en
compte plusieurs que nous ne pouvons passer sous
silence. Marie Antier, qui fut si longtemps la reine de
l'Opéra, et qui, à l'âge de quarante-huit ans, chantait
(i) Affiches de Lyon.
(2) Néeau Mans,le 17 mars 1731, morte à Senlis, le 7 mai 1794, elle
débuta, en 1753, au Théâtre-Français, où elle ne fut pas admise.— V.
Nouvelle hiograpHe générale,
(3) Jean-Marie Leclair, fondateur de la première écol^e de violon en
France, né à Lyon, en 1697, fut assassiné à Paris, le 22 octobre 1764.
LE THÉÂTRE A LYON
21
encore comme à quinze ans, était née à Lyon en 1687 (i).
Une autre Lyonnaise, Françoise Journet, avait débuté
en avril 1705, à TOpéra de Paris, où elle était devenue
première actrice (2).
Une célèbre comédienne du Théâtre-Français avait
donné au monde l'exemple d'une conversion qui rappe-
lait celles des grandes pécheresses du xvii* siècle. A la
suite d'une messe qu'elle avait eu la fantaisie d'entendre
à l'occasion de l'anniversaire de sa naissance, M"® Gau-
thier avait quitté la scène pour venir, au couvent de
TAntiquaille de Lyon^ prendre Thabit des Carmélites, le
20 janvier 1725, sous le nom de sœur Augustine de la
Miséricorde. La nouvelle convertie était grande et bien
faite, dit Duclos, et son teint avait de la fraîcheur. Elle
faisait des vers passables et peignait très-bien en minia-
ture; on raconte qu'elle était douée d'une telle force,
qu'elle ployait entre ses doigts une assiette d'argent,
comme elle eût ployé une oublie. Sans rien perdre de
sa gaîté naturelle, M"* Gauthier devint une des plus
ferventes religieuses du couvent. Le bruit qui s'était
fait autour d'elle et le charme exquis de sa conversation
lui attiraient sans cesse de nombreux et d'illustres visi-
teurs, qui ne se lassaient pas d'admirer le rare spectacle
de tant d'esprit uni à tant de vertu. La sœur Augus-
tine vécut trente-deux ans dans son cloître, et mourut
le 28 avril 1757, entourée de la vénération de la ville
entière (3).
(i) Elle mourut à Paris le 3 décembre 1747. — Pemetti, II, 331. —
Revue du Lyonnais, Journal des nouvelles de Paris, loc. cit. p. 35.
(2) Françoise Journet mourut à Paris en 1722.
(3) Née en 1690, reçue au Théâtre-Français en 17 16, elle se retira en
1723. Elle a laissé une relation circonstanciée de sa conversion^ qu'on
22 LE THEATRE A LYON
Cette» même année, la fille d'un musicien de Lyon,
nommé Luzy, était admise à T Opéra-Comique de Paris
comme élève danseuse; l'enfant avait tout au plus dix
ans, on lui confia bientôt quelques petits rôles en rap-
port avec son âge. Préville lui reconnut du talent, la
prit sous sa protection et la fit débuter à la Comédie-
Française le 26 avril 1763. Elégante de taille et de figure,
M"* Luzy "se signala par la noblesse des gestes et de la
démarche, par une prononciation excellente et une phy-
sionomie pleine d'expression . et de vivacité. Elle quitta
la scène en avril 1781 et vécut à Paris jusqu'à sa mort
qui arriva le 27 novembre 1830. Elle avait 83 ans (i).
Il faut citer encore un fameux chanteur de l'Opéra,
Henri Larrivée, qui naquit à Lyon, le 8 septembre 1733.
D'abord garçon perruquier, c'est en rasant les acteurs
qu'il prit goût au théâtre. Il débuta, le 15 mars 1755,
comme seconde basse-taille dans Castor et Poltiix et,
bientôt après, il créa, sous les yeux de Gluck, les ^ rôles
d'Agamemnon dans Iphigénie en Aulide et d'Oreste dans
Iphîgénie en Tauride. Cet acteur possédait, avec une
taille avantageuse, une voix sonore et brillante, un jeu
animé et une profonde connaissance de son art, qui le
distinguèrent pendant trente-deux ans sur la scène
lyrique. Les compatriotes de Larrivée eurent souvent
l'occasion de l'applaudir au théâtre de Lyon, sur lequel
il aimait à reparaître (2). Il n'est pas de plus complète
trouve dans le i^^ vol. des Pièces intéressantes et peu connues, publiées
par Laplace.
(i) Mlle Luzy était née à Lyon le 6 juin 1747. On lit dans lés regis-
tres de la paroisse de Saint-Nizier : « Aujourd'hui sept juin, j'ai baptisé
Dorothée, fille de Claude Lutj, musicien, et de Justine Montai, son
épouse. »
(2) Larrivée mourut à Vincennes le 7 août 1802, — Biogr, univers.
tE THEATRE A LYON 23
satisfaction pour celui qui est parvenu à la fortune, que
de recueillir les suffrages de ceux qui l'ont vu dans
l'obscurité.
L'abondante récolte de blé de l'année 175 1 avait laissé
dans la caisse consulaire un million de livres disponible
sur le montant des emprunts. C'était le cas d'exécuter,
à Taide de ces fonds, des travaux d'embellissements
depuis longtemps projetés, notamment la reconstruction
du théâtre qui menaçait ruine et dont l'aspect n'avait
rien de monumental.
Il paraissait difficile de bâtir le nouveau théâtre sur
l'emplacement de l'ancien. Pendant tout le temps qu'au-
raient duré les travaux, on eût été privé de spectacles.
D'ailleurs, le jardin situé à l'est de l'Hôtel-de- Ville était
triste et resserré : le consulat, par une délibération en
date du 4 mars 1754, homologuée par un arrêté du Conseil
d'Etat du 10 septembre suivant, résolut de supprimer le
jardin et »d'élever la nouvelle salle dans la partie orientale
de ce terrain, dont le surplus formerait une place publi-
que. On considérait que, de la sorte, il n'y aurait pas à
faire d'acquisition de sol et que les frais de construction
seraient couverts en partie par le produit de la vente de
l'ancienne salle.
Ce projet fut mis aussitôt à exécution. La partie de la
maison Bron qui joignait le quai de Retz fut vendue
cent trente-cinq mille livres aux sieurs Sain et Auriol.
Quant à l'architecte du nouveau théâtre, le choix ne
pouvait ôtre douteux. Soufflot(i) exerçait alors son art
(i) Souffloi construisit la façade monumentale de l'Hôtel-Dieu, et
bâtit le Temple des protestants sur l'emplacement de la Loge-du-
Change. Personne n'ignore que c'est à lui que Paris doit son église
Saintç- Geneviève.
24 LE "niÉATRE A LVON
à Lyon, où îles travaux remarquables avaient déjà jeté
les fondements de la réputation qui devait bientôt le faire
appeler à Paris. C'est à c;;t artiste que la ville confia
cette importante construction ; il reçut six mille livres
B pour ses plans et jra'is de- dessmature. » Les dessins
furent achevés en quelques mois et la pose de la première
pierre eut lieu le 17 octobre 1754 (i).
Voltaire vînt h Lyon avec M"' Denis, le 15 novembre
suivant. Il assista sans doute au spectacle ; son opinion
sur notre théâtre serait précieuse à retenir; mais on
n'en trouve aucun vestige dans sa correspondance. D'ail-
leurs, le roi du siècle ne passa que trois semaines à Lyon ;
mal accueilli par le cardinal-archevêque de Tencin, il
quitta cette ville le 9 décembre (2).
ni
Inauguration du nouveau théâtre. — Clairon et Lekain. — Brizard,
François Auge, Grandval, — Les Fourberies de Scapin, aux Grands-
Capucins. — Uq succès de larmes. — Les Arches de Lyon. —
Direction de M"» Lobteau. — Fleury, Larive, M"« Sainval.
Le nouveau théâtre fut achevé en moins de deux ans.
Soufflot, montrant que la célérité dans l'exécution est une
(i) Clerjon, Histoire de Lyon, t. VI, p. 348 et suiv, — Lyon ancien et
moi. — Archives du Rhône, i. VII, p. 519. — La jolie salle de Soufflot
ne devait pas avoir uae longue durée; son existence ne dépassa pas
71 ans. Lorsqu'on la démolit, le 22 février 1828, on trouva dans les
, fondations de k façade neuf pièces de monnaie à l'effigie de Louis
XV et une inscription gravée sur une plaque de cuivre et attestant
quels premièri; pierre avait été posée, le 17 octobre 17J4. P^r le
duc de Villeroy et parles prévôt et échevins de ia ville.
(2) Petite chron. lyon. loc. cit. t. IV, p. 422. — Pierre Guériu de
Tencin, né à GrenoWeen i6}0, succéda à Mgr de Rochebonnc comme
archevêque de Lyon, en i74o> et mourut le 2 mars 1,758.
LE THEATRE A LYON 2$
partie du génie, en livra les clés au consulat vers le milieu
de Tannée 1756.
Le grand artiste s'était inspiré, dans la distribution et la
décoration de la salle, • de ses souvenirs des théâtres de
Parme et de Vérone. D'une architecture simple, l'édifice
indiquait au premier abord sa destination. La façade, peu
élevée, avait pour couronnement une statue d'Apollon et
six groupes de génies, représentant les divers attributs de
l'art dramatique. Voltaire, auquel on avait demandé des
vers pour être gravés sur l'entablement, répondit qu'il
n'était pas facile de les faire bons^ et l'on se décida pour
cet alexandrin :
Ici le dieu des arts est le [dieu des Amours.
Plus tard, on substitua à cette inscription le simple mot :
THEATRE. Limité par l'espace, Soufflot ne put donner
au monument des proportions grandioses; mais la salle
avait du moins le mérite d'être parfaitement distribuée :
elle se composait de trois rangs de galeries superposées,
où deux mille spectateurs pouvaient s'asseoir commodé-
ment et voir la scène de toutes les places. Le rideau d'avant-
scène représentait la descente d'Apollon chez Thétis(i).
L'inauguration et l'ouverture de cette nouvelle salle eu-
rent lieu, le 30 août 1756, avec une grande solennité. Après
un prologue en vers libres, intitulé le Réveil d^Apollon^
M"*" Clairon, la célèbre tragédienne (2), venue de Paris
(i) Lyon aiic. et inod. V. Grand-Théâtre.
(2) Claire- Josèphe-Hippolyie Legris de Lalude, dite M^ï* Clairon,
née en 1723 près de Condé en Flandre, morte à Paris le 18 janvier
1803. — C'était Théroïne du Théâtre-Français; elle avait une figure
agréable, et surtout de la physionomie, cette autre beauté essentielle à
la scène. « Dès qu'elle paraît, dit Bachaumont dans ses Mémoires secrets,
26 LE THÉÂTRE A LYON
pour prêter son concours à cette fete^ remplit le rôle d'A-
grippine dans Britannicus, avec les accents passionnés et la
noblesse qui n'appartenaient qu^à elle. Le lendemain, elle
joualdamé dans V Orpheline de la Chine (i). La présence de
la grande actrice sur notre théâtre était une sorte de consé-
cration; les pensionnaires de la Comédie-Française ne
croyaient pas indigne d'eux la scène qui leur avait envoyé
Préville.
Déjà le grand acteur Lekain (2), sublime malgré sa lai-
deur repoussante, venait d'offrir l'exemple, si usité depuis,
de donner des représentations en province ; Voltaire, qui
l'aimait beaucoup et qui l'avait produit au Théâtre-Français
après l'avoir fait jouer longtemps chez lui dans ses diffé-
rentes pièces, l'avait fort encouragé à ces tournées hors de
Paris, comme en témoigne sa correspondance (3). Lekain
elle est applaudie à tout rompre. Ses enthousiastes n'ont jamais vu et
ne verront jamais rien de pareil : c'est l'ouvrage le plus fini de l'art...
Cette actrice a de tout temps eu la passion théâtrale, beaucoup de no-
blesse dans sa démarche, dans ses gestes de main, dans ses coups de
tête. Quoique d'une stature médiocre, elle a toujours paru, sur la scène,
au-dessus de la taille ordinaire (30 janvier 1762). »
(i) Répert. lyon. Bibl. Coste. Arch. du Rhône, tome XIII, page
437-
(2) Henri-Louis Gain, dit Lekain^ né le 14 avril 1728 à Paris, mort
le 8 février 1778. Voltaire le devina et ne cessa de le protéger. Il dé-
buta le 14 septembre 1750 et fut très-discuté. (V. les Mémoires d^
Lekain^ Paris 1801). — « La nature avait donné à Lekain une physio-
nomie désavantageuse, une voix sombre et dure, une taille épaisse, et
semblait lui opposer les plus grands obstacles. (Merc. de France ^ mars
1778). » Mais le travail et l'art vinrent à bout de tout : les critiques
les plus éclairés du temps déclaraient n'avoir jamais entendu aucune
voix humaine dont les inflexions fussent plus variées, d'un pathétique
plus touchant et plus terrible. Il en vint à produire une telle illusion,
que dans les moments de passion il n'était pas rare d'entendre lès
femmes s'écrier : Qu'il est beau ! (Biog. générale).
'(3) — ^ Aux Délices, près de Genève, 14 avril 175$ : — Monsieur
LE THÉÂTRE A LYON , 2*J
suivit les conseils de son protecteur et n'eut pas à s'en re-
pentir.
Dès lors, des acteurs de grand talent parurent devant le
public lyonnais, qui avait déjà la réputation d'être connais-
seur et difficile. Pendant les années qui suivirent l'inaugu-
ration du théâtre, on trouve parmi nos comédiens des
noms devenus célèbres. Brizard (i), qui s'était d'abord
destiné à la peinture et qui avait été élève de Vanloo, fut
poussé vers les planches par M^^^ Destouches, directrice
d'un spectacle donné à Valence, la même qui deviendra
M"*^ Lobreau et dirigera bientôt notre théâtre. Engagé dans
la troupe de Lyon, Brizard joua sur diverses scènes de pro-
vince jusqu'en 1757, époque à laquelle M"" Dumesnil et
Clairon l'attirèrent à la Comédie, Française pour y jouer les
rois et Iqs pères nobles. Il fut, paraît-il, pendant son séjour à
Lyon, le héros d'une singulière aventure. Une nuit^ Brizard
descendait le Rhône en bateau, lorsque sa frêle embarca-
tion alla se briser contre une pile d'un pont ; le malheureux
le duc de Richelieu, tout makde qu'il est, n'a point perdu de temps,
mon cher et grand acteur. Il a écrit à M. de Roche-Baron, et vous
avez la permission de vous faire admirer à Lyon, tant qu'il vous plaira.
Vous devez avoir reçu cette permission dont vous doutiez; nous vous
en faisons compliment, M™e Denis et moi. — V. »
Voltaire lui écrivait encore de Lauzanne, le 5 janvier 1756 : —
« ... Vous gagneriez plus en province qu'à Paris; c'est une honte in-
soutenable...! » — Lekain ne touchait que dix à douze mille livres à la
Comédie- Française. (Mém. secr., 12 avril 1767).
Le 28 février suivant, M^e Denis faisait savoir au grand artiste qu'il
était attendu à Ferney pendant la semaine sainte et qu'il « pourrait
jouer, en passant, la semaine de la Passion à Lyon, »
(i) Britard, dit Brizard, était né à Orléans le 7 avril 1721, et mourut
à Paris le 30 janvier 1791. — « Il a, dit Bachaumont, la majesté des
rois, le sublime des pontifes, la tendresse ou la sévérité des pères. C'est
un grand acteur, qui joint la force au pathétique, la chaleur au senti-
ment {Mém. sec.^ loc. çit,). »
28 LE THÉÂTRE A LYON
parvint à se cramponner à la pile et attendit le jour dans
cette position critique; à l'aube, il fut sauvé; mais, soit par
la terreur, soit par les efforts surhumains qu'il avait dû faire,
ses cheveux avaient entièrement blanchi... Aussi n'avait-il
pas besoin de perruques pour figurer les vieillards.
François Auge (i), qui, dès l'année 1750, parcourait la
province en compagnie d'acteurs ambulants, fit partie de
la troupe de Lyon. Ce fut dans cette ville, où la comédie
florissait, que cet acteur, qui y tenait avec succès l'emploi
de h grande casaquCy reçut, le 18 janvier 1763, un ordre de
début pour la Comédie-Française, à laquelle Armand l'a-
vait signalé comme le seul artiste capable de le remplacer.
Notre théâtre posséda aussi à deux reprises ce célèbre
Grandval (2) qui « avait sur la scène, dit La Harpe, l'air
d'un homme du monde. » Il quitta Lyon pour retourner à
Paris en février 1764. Lorsque son astre vint à pâlir et que
Paris l'eût rejeté comme un hochet brisé, Grandval revint
chercher, dans la ville qui l'avait accueilli quatre années au-
paravant, un public moins engoué du succès, mais plus
réservé pour les talents déchus. Il faut voir comme les cri-
tiques parisiens lui donnèrent le coup de pied de l'âne :
a Le sieur Grandval, dit Bachaumont, après avoir fait les beaux
(i) Né à la Ferté-sous-Jouare le 31 décembre 1733, il mourut à
Paris le 26 février 1783. — V. Galerie historique des comédiens de la
troupe de Talma^ parE. D. de Manne, p. i.
(2) François-Charles Racot de Grandval, né à Paris le 23 octobre
1710, mort le 17 septembre 1784. — Bachaumont fait un parallèle en-
tre Grandval et Bellecour que nous allons voir aussi figurer sur le théâ-
tre de Lyon. Tous deux couraient la même carrière dans les deux
genres : « Le premier a plus d'importance, plus de morgue, plus de
faste; Tautre a plus de naturel, plus d'aisance, plus de fatuité : les rôles
d'ironie, de dédain, de mépris, conviennent mieux au premier : ceux
d'entrailles, d'onction, de pathétique, mieux au second (^Mém,secr.y 30
janvier 1762). »
LE THÉÂTRE A LYON 29
jours de la scène française, a insensiblement perdu toute ^a célébrité et
s'est vu forcé de disparaître tout à fait, â Pâques dernier. Pour mettre
le comble à ses humiliations, il vient de s^ enrôler dans h. troupe de Lyon^ et
terminera probablement ainsi sa malheureuse carrière. Tel on a vu
Bélisaire demandant Taumône ; ou plutôt, tel le roi de Syracuse devint
maître d'école (Mém, secr. 2 juin 1768). »
La redoutable concurrence que leur faisait le vrai théâtre
n'arrêtait point la verve des bons religieux. Jaloux des lau-
riers du père Folard, le père Georges Vionnet (i) avait
fait jouer le 28 mai 1747, Xerxès^ tragédie en cinq actes et
en vers. Dix ans après, en plein dix-huitième siècle, pen-
dant le carnaval de 1757, les capucins du Grand-Couvent
ne se firent pas scrupule de jouer, trois jours de suite, les
Fourberies de Scapin, sur un théâtre dressé au fond de leur
bibliothèque, en présence de leurs confrères du Petit-Forez
et d'un grand nombre de leurs pénitents qu'ils avaient in-
vités à ce spectacle. Voici un couplet que rapporte l'abbé
de La Tour, dans ses Réflexions morales, politiques et litté-
raires sur le théâtre, et qui pourrait bien appartenir à une
chanson faite à l'occasion de ces représentations :
Nous jouons des comédies
Dans l'enclos de nos maisons.
Et même des tragédies
Mieux que Molière et Baron.
Je brille dans le tragique,
Frère Duc dans le comique.
Veut-on de bons arlequins ?
Que Ton vienne aux Capucins (2).
Autre temps, autres mœurs ! ce qui n'était que naïf
(i) Georges Vionnet, jésuite, professeur de rhétorique au collège de
la Trinité, né le 31 janvier 1712, mort le 31 décembre 1754.
(2) Nouv. eulés, du 7 août 1757 ; Arch. du Rhône, lom. XIII, p.
^8 ; Lyon anc, et mod. loc. citât.
30 LE THÉÂTRE A LYON
alors ferait scandale aujourd'hui que ropînion publique
se montre plus que sévère pour tous ceux qui portent
rhabit reKgieux. Mais revenons au Théâtre.
Au mois de février 176 1, « les comédiens ordinaires
de Mgr le duc de Villeroy » donnèrent la première
représentation du 'Pin de Famille^ de Diderot, qui eut
un grand succès de sensibilité et que le chroniqueur des
Affiches de Lyon appelle un chef-d'œuvre (i). Après les
(i) Cette feuille, devenue hebdomadaire, nous fournit dos documents
pleins d'intérêt sur les années qui vont suivre. Voici, par exemple,
à la date du 6 mai 1761^ une page fort curieuse au double point de
vue de la mise en scène et de la critique dramatique à cette époque :
« Le théâtre de Lyon va voir renaître les jours brillants du célèbre
Noverre. Les ballets vont reprendre leur éclat sous la direction du sieur
Hus, déjà connu et applaudi dans la capitale. Ce maître de ballet a
débuté par la^ Mort d'Orphée ou les Fêtes de BacchuSy ballet héroïque
reçu avec tant d'accueil à Paris. — On aperçoit, aux deux côtés du
fond du théâtre, des montagnes séparées par un vallon délicieux orné
de quelques arbres qui laissent voir TEbre dans l'enfoncement. Orphée,
assis nonchalamment sur un Ut de gaxptiy enchante par les sons de sa
lyre, tout ce qui est autour de lui. Les animaux les plus féroces sont
adoucis par l'harmonie de son jeu. Les arbres et les rochers semblent
s'approcher pour l'entendre de plus près ; lorsqu'il cesse de tirer des
sons de sa lyre, les rossignols s'efforcent en vain de les imiter, et ils
tombent morts de jalousie et de douleur de ne pouvoir y réussir. Or-
phée finit par un morceau lugubre qui exprime les regrets de la perte
de sa chère Euridice. Les animaux attendris inclinent leurs têtes, les
montagnes et les rochers se fendent ; les arbres laissent tomber les
pleurs que V Aurore avait, au matin, répandus sur leurs feuilles ; toute la-
nature s'intéresse au sort d'Orphée. — Les seules Bacchantes sont
insensibles à ses sons, elles le soupçonnent de mépris pour elles ; elles
ont juré sa perte; elles descendent en fureur du haut des montagnes,
tenant un tliyrse d'une main et un tambour de l'autre. Elles se jettent
sur lui pour le frapper ; mais Orphée enchaîne leur rage par la mélodie
de ses sons. Les armes leur échappent des mains et tombent sans force
aux pieds du chantre de la Thrace. Elles paraissent un moment adou-
cies par la lyre enchanteresse ; mais, pour n'y pas succomber et pour
s'empêcher d'en entendre les sons, elles font avec leurs tambours et leurs
LE THEATRE A LYON 5I
sécheresses du cœur, l'apparition de J.-J. Rousseau a pro-
duit une transformation complète ; avec le sentiment de la
nature, il a donné à la femme la sensibilité. « La femme
veut être émue jusqu'aux larmes ; elle court au théâtre
pour pleurer. Elle pleure à chaudes larmes lorsque, dans le
Cri de la nature, paraît sur la scène un petit enfant au maillot.
Au Père de Jamille, on compte autant de mouchoirs que
de spectatrices. Les femmes se pressent à toutes les pièces
sombres et pathétiques, aux RoméOy aux Hamlet^ aux Ga-
hrielle de Vergy ; et la plus grande partie de plaisir est
pour elles d^aller s^évanouir à ces drames où h cœur est
flûtes un hacchanaî que Torchestre exprime. Celle qui est à leur tête
reste seule attendrie et s'assied aux pieds d'Orphée. Ses compagnes
furieuses veulent fondre sur le malheureux Orphée qui tend en vain
les mains pour les fléchir. La principale Bacchante fait des efforts
pour arrêter leurs transports; elle se jette à leurs genoux pour leur
demander grâce, et, ne pouvant triompher de leur rage, elle se met
entre elles et Orphée et veut périr avec lui puisqu'elle ne peut le sauver.
Les Bacchantes l'arrachent de devant leur victime, l'attachent à un
tronc d'arbre, tombent sur Orphée, le déchirent et jettent son corps et
sa lyre dans l'Ebre qui s* agite d'horreur Elles exécutent alors un
morceau de danse qui exprime à la fois la rage et la jofe qu'elles ont
d'avoir tué leur ennemi. Ce morceau de musique dans le goût d'une
tempête laisse percer de temps en temps les accents plaiiuifs de la lyre,
qui, d'elle-même et du fond du fleuve, fait encore entendre ses sons
douloureux.
« Une symphonie annonce l'arrivée de Bacchus ; la terreur saisit
les Bacchantes, qui prévoient la colère de ce dieu terrible lorsqu'il
apprendra la mort de celui qui présidait à ses mystères. Elles expri-
ment leur crainte et leur embarras par différents tableaux et s'enfuient
en désordre! Bacchus descend de la montagne sur un char traîné par
des tigres; le vieux Silène et une troupe de Faunes l'accompagnent.
11 est étonné de la fuite des femmes dévouées à son culte. Il aperçoit
la principale Bacchante attachée à un arbre, qui donne toutes les
marques du désespoir et qui l'implore aussitôt qu'elle le voit, en lui
montrant, sous les arbres, l'écharpe d'Orphée ensanglantée. Il connaît
la fureur de ces femmes et ne doute plus de la mort de son cher
J2 LE THEATRE A LYON
délicieusement navré par des angoisses terribles qui sont le
charme du sentiment (i). »
Le sieur Breton fut remplacé, à la direction du Théâtre,
en octobre 176 1, par une médiocrité de la pire espèce,
un sieur Rosimond (2), qui, par bonheur, ne garda cette
charge que trois années. On lui fit donner sa démission au
mois d'avril 1764, et Tannée théâtrale recommença sous
Tadministration de M"* Destouches-Lobreau , femme de
tête, qui avait été directrice du tliéâtre de Bordeaux et
qui jouissait déjà de la sympathie du public lyonnais,
La troupe débuta par Mélanide ou les Trois Frères Rivaux.
« Début fort triste, » écrivait M"*" Lobreau à M. de la
Verpillière, prévôt des marchands, « les comédiens ont été
trouvés détestables. Cependant, le comique vaut mieux que
le tragique. La troupe a joué dans VObstacle et a été fort
applaudie Tout paraît fort tranquille dans le public;
Orphée. Il fait délier la principale Bacchante, lui promet justice et
envoie les Faunes chercher ses compagnes. Leur terreur est l'aveu de
leur crime ; elles se jettent à genoux, mais elles ne fléchissent point le
dieu irrité qui les attache à la terre et les change en arbres. Les jeunes
Faunes, consternés de cette métamorphose, demandent grâce pour,
elles et apaisent insensiblement la colère du dieu qui rend aux Bac-
chantes leur premier être et leurs premiers charmes. Celles-ci, de con-
cert avec les Faunes, exécutent alors les FéUs de Bacchus pour le
remercier ; et ces Fêtes se terminent par une Contredanse générale qui
finit par la marche de Bacchus, qui remonte la montagne avec sa suite
et tous les attributs préparés pour la Fête.
« Ce ballet rempli de feu, de génie et d'action, et qui a été donné
avec l'appareil et la précision de la plus belle exécution, justifie le cas
que l'on a fait des talents de l'auteur (Affiches de Lyon, 6 mai 1761). »
(i) La femme au dix-huitième siècle, par Edmond et Jules de Gon*
court, I vol. in- 18, p. 440.
(2) Archiv. manuscr. de la Ville de Lyon, série DD. Théâtre. —
Corresp, de M»« Lobreau avec M. de la Verpillière, prévôt des
marchands.
^
LE THÉÂTRE A LYOÎ^ 33-
j'entends un cri général : M"^ Lobreau va bonifier uite troupCj
elle ne la souffrira pas si mauvaise (i). »
C'était Rosimond qui avait monté la troupe : personne
n'osait se plaindre. Pour surcroît de malheur, Larrivée
et sa femme, qui avaient débuté le 15 avril, étaient rap-
pelés sur un ordre de Paris ; c'était une grande perte
pour M""^ Lobreau qui « ne savait plus où- donner de la
tête et ne quittait pas le Théâtre du matin au soir. » Le
public disait : « La pauvre Lobreau fait bien ce quelle
peut / » — « Néanmoins, concluait la directrice, c^est
assomant (2)..»
Elle essaya bien d'engager Grandval, Mole, M"* Du-
mesnil; mais ces artistes avaient des engagements antérieurs.
C'est sur ces entrefaites que fut écrite la lettre suivante,
qu'il convient de reproduire avec sa saveur et son ortho-
graphe de fantaisie :
« La comédie va autant bien quelle peut allé, mais non
sans peine. Les maladie sont sy frécante et la troupe sy
séré que Ion auroit fermé dix fois la porte sans les soins
que je me donne; heureusement les pensionnaire font pour
moy tout ce quil peuve. Madame Camelly a beaucoup
perdue de ses droits sur le cœur du public. On la trouve
gatté depuy quelle a quitté Lyon^ et heureusement il
nous arive le mois prochain un premier roUe que le
prince de la Tour-Taxis ma fait enlevé déjà deux fois
comme elle venoit me joindre. Les cours étrangère nous
enlève tous les sujets^ il ny en a presque plus en France.
(1-2) Eod. loc. Corresp. de M»»* Lobreau, lettres des 16 avril, 9
juin et i«r juillet 1764.
Les directeurs des théâtres devaient rendre un compte rigoureux au
prévôt des marchands et l'informer de tous les détails de leur admi-
nistration.
3
34 LE THÉÂTRE A LYON
« Je n'ai pas encore pu réparé la perte que nous allons
faire au premier sbre de nostre jeune home.' Je voudrois
bien ne me pas faire d'affaire avec les gentilshomes de la
chambre, et cette perte nous fera un grand vide. Je vous
suplie, Monsieur, de me dire sy vous avés vue le duc
Duras (i) et si vous luy en avez parlé. Il faut que Ion
soit bien au dépourvue au Théâtre François ; Mon-
sieur le duc de la Trimotiillie qui est venue voire Lyon
avec quiatre officié de son régiment sous le nom du cheva-
lié de Lépine, est venue me voire et ma promis d'en parlé
aux Duc Duras. Quoy quincognito je lui ay donné les
pièce qu'il désiroit. Voilà, Monsieur, toute les nouvelle du
spectacle et de la position ou je suis. Et toujours avec Res-
pect, Monsieur, Votre très-humble,
« Destouches-Lobreau. »
« Ce 30 juillet 1764 (2). »
A force d'énergie, la directrice parvint à composer une
troupe fort convenable, où figuraient à côté de son mari
qui jouait dans l'opéra, Rosambert et sa femme qui faisait
les soubrettes^ Hus père et fils, maîtres de ballet, Dalain-
ville, firère du sémillant Mole qui était lui-même venu à
Lyon, Duparc, Brizard, Bellecour qui avait déjà débuté à
la Comédie-Française, enfin les demoiselles Monrose et
Dainville. M"* Lobreau elle-même, excellente actrice, n'a-
bandonna pas la scène, où elle jouait dans les deux genres,
faisant alternativement les caractères et les confidentes y et sup-
(i) Le duc de Duras, premier gentilhomme de la chambre du roi.
A Paris, les comédiens dépendaient des gentilshommes de la chambre,
comme à Lyon du gouverneur.
(2) Arch. mss. eod. loc. — Projet pour l'établissement du spec-
tacle.
LE THÉÂTRE A LYON 35
portant à la fois le fardeau de la direction et les fatigues des
répétitions quotidiennes.
Cette femme intelligente fut l'objet de la protection la
plus marquée de la part de l'autorité administrative. Ajou-
tons que la nouveauté de la salle de spectacle, la suppres-
sion des jeux dans les cafés, les ballets de Noverre et les
bouffons furent pour elle autant d'éléments de succès dont
elle sut profiter.
Dans la suite, le hasard lui procura des sujets non
moins distingués que les précédents, tels que : Drouin,
Laschi, Hedoux ; Caillot qui était, en 1762, le premier
acteur de la Comédie Italienne et qui, au jugement de
Bachaumont, « réunissait toutes les qualités, à la no-
blesse près, dont la voix embrassait tous les genres, se
montait à tous les tons et valait un orchestre entier (i). »
Mais il était réservé à la directrice du théâtre de Lyon
de voir grandir sous ses yeux trois des talents drama-
tiques les plus remarquables de son temps ; Fleury, Larive,
M"* Sainval.
Des revers de fortune avaient amené le père du pre-
mier à se mettre à la tête d'une troupe de comédiens.
Confié à n'importe qui, le petit, Abraham-Joseph Laute
de Fleury (2), connu plus tard sous le nom de Bénard
Fleury y était resté à Chartres, sa ville natale, jusqu'à ce que
son père, attaché au roi Stanislas comme directeur des
spectacles, fût venu le chercher pour l'emmener avec lui.
Le jeune garçon avait préludé à ses succès futurs sous les
yeux mêmes du roi et de la marquise de Boufflers, et avait
commencé son apprentissage de comédien pour ainsi dire
sur les genoux des grandes dames.
(i) Métn, Sec.i 20 février 1762*
(2) Né le 26 octobre 1750, mort le 3 mars 1822*
36 LE THÉÂTRE A LYON
A peine adolescent, il voulut voler de ses propres ailes
et, léger de bagage et d'argent, il se rendit à Lyon où il
proposa ses services à la directrice du spectacle. Les
MÉf/«(?/r^j publiés sous son nom, bien qu'apocryphes (i),
donnent assez bien la physionomie du théâtre lyonnais à
Tarrivée de Fleury, pour qu'on puisse lés citer ici :
« M«e Lobreau m'accueillit comme une directrice accueille un co-
médien utile, et le public de Lyon ni trop mal, ni trop bien, en public
qui attendait. Terrible parterre que celui de la seconde ville du royaume î
La directrice de ses plaisirs dramatiques avait fort à faire : parlons un
peu d'elle... »
a C'était en bien des points le parfait contraste de Mii« Montansier.
Juste, habile, exacte, femme de cœur, femme sévère, un homme en
jupons pour la conduite des affaires; c'était un véritable monarque, mais
il n'y avait point à s'en plaindre; elle tenait le sceptre d'une main feraie
autant qu'habile : sous son règne, le théâtre de Lyon pouvait rivaliser
d'éclat et de magnificence avec les plus brillants de la capitale. —
Aussi sa passion dominante était-elle le commandement. Nous l'appe-
lions notre fée Urgeîk,,. »
Plus loin, les Mémoires racontent combien le jeune débu-
. tant eut à souffrir de la part du public, qui le siffla sans
pitié :
« Quand je quittai mon père, impatient "de voler de mes propres
ailes, je crus que je trouverais partout la même indulgence... J'avais
chaussé le brodequin, espérant ne marcher que sur des roses ; hélas ! un
certain jour, il ne me garantit guère des ronces et des épines... Les
trompettes du jugement dernier ne seront pas plus terribles aux hom-
mes coupables que ce bruit humiliant ne le fut pour mes oreilles... »
« Heureusement que j'étais assez jeune pour croire à une injustice,
Mnac Lobreau me soutenant d*9illeurs et mettant toute sa ténacité à
(i) Les Mémoires de Fleury ont été composés avec esprit par J.-B.-P.
Lafitte (1835-1837), qui a mis à contribution les mémoires du temps.
Il résulte de témoignages authentiques que Fleury n'a pas laissé
d'écrits.
LE THÉÂTRE A LYON 37
donner un démenti aux siffleurs. A cette occasion même, un nommé
Provost, qui jouait les premiers rôles, me tendit la main et me donna
d'excellentes directions. »
Peu à peu, Fleury parvint à réaliser le type du vrai
comédien de ce temps-là : « Parler sans gestes, et se
donner l'air d'un homme du monde, d'un grand seigneur
dans un salon, avec cette nonchalance, ce laisser-aller de
la bonne compagnie, l'épée au côté et le chapeau sous le
bras. » Les souvenirs delà cour du roi Stanislas ne lui
furent pas inutiles :
ce Entouré de mes chaises et de mes fauteuils, je me faisais un cercle
brillant et bénévole d'hommes du monde et de jolies femmes; ainsi
que le Sosie à* Amphitryon y je prenais et je quittais tour à tour plusieurs
rôles ; ma voix polie, ironique ou impertinente, parlait à une femme
aimable, répondait à une épigramme et relevait Tinsulte ; je traitais
avec tous mes meubles, baptisés de noms superbes ou de beaux titres^
de puissance à puissance. »
Enfin, le courageux artiste dompta son public et fut
admis dans le meilleur monde, grâce à la régularité de sa
conduite ; il revenait toujours à son talent quelque chose
de ces fréquentations ; car, « si les auteurs dramatiques
sont des écouteurs aux portes, il faut que le comédien
pénètre jusque dans les salons. »
Après quelques années de séjour à Lyon, Fleury quitta
notre théâtre en 1773 pour celui de Lille. Son début à la
Comédie-Française eut lieu le 7 mars 1774. Mais, trou-
vant pour obstacles à son admission les sociétaires Bel-
lecour, Monvel et Mole qui tenaient le même emploi que
lui, il suivit le conseil de Lekain, son bon ange, et reparut
sur le théâtre de Lyon, où il avait laissé de bons souve-
nirs. Il y passa encore quatre années, pendant lesquelles il
assouplit son organe et acheva d'acquérir ce ton de bonne
38 LE THÉÂTRE A LYON
compagnie sans lequel il n'y avait alors aucun succès pos-
sible. La Comédie Française lui ouvrit enfin ses portes le
20 mars 1778; il joua \qs petits maîtres en remplacement
de Mole devenu vieux, et, dix ans plus tard, il occupait les
grands premiers rôles de comédie (i).
Mademoiselle Sainval ou de Saint-Val, appartenait à une
honorable famille de la sénéchaussée de Grasse, les Alziary
de Rochefort (2). Sa mère avait été attachée à la personne
de la reine Marie Leczinska, son père était chevalier de
Saint-Louis et l'un de ses frères était au service (3). Ce
furent sans doute les représentations dramatiques qu'on
donnait au couvent d'Amibes, où les demoiselles de Saint-
Val furent élevées, qui développèrent leur goût pour le
théâtre. Le père, loin de contrarier ses filles, les favorisa
en les faisant paraître sur un petit théâtre de société; mais
leur détermination l'affligea.
L'aînée des deux sœurs débuta à Lyon où elle joua la
tragédie, et y fut fort goûtée. La noblesse de sa démarche
et une exquise sensibilité faisaient oublier des traits pres-
que repoussants et un organe défectueux. En 1766, la
jeune actrice fut mandée à Paris pour combler le vide
qu'allait laisser le prochain éloignement de Mademoiselle
Clairon. Un vrai triomphe l'attendait. On lit dans Bachau-
mont à la date du 5 mai de la même année :
(i) E. D. de Manne : Galerie hist. des portraits des comédiens,
(2) Marie-Pauline-Chrisiine Alziary de Rochefort, dite M^© Sainval
Taînée, était née à Coursegoules le 15 décembre 1743 et mourut à Paris
le 13 juin 1830. — E. D. de Manne : Galerie hist. des portraits et des
comédiens de la troupe de Voltaire, gravés par Hillemacher, avec détails
biog. inédits. Lyon, Scheuring, 1861.
(3) Ce frère fut pendu en 177 1 ; la douleur et la honte rendirent folle
l'impressionnable actrice.^
LE THÉÂTRE A LYON 39
<c Le Théâtre-Français s'occupe à réparer ses pertes. M^ie Sainval^
nouvellement arrivée de Lyon, a débuté aujourd'hui dans le rôle
à* Ariane. Ses talents sont déjà développés. C'est une actrice exercée,
elle a beaucoup de feuj^^ des entrailles, un jeu naturel à la fois et rai-
sonné. 3»
K 12 mai. — Les trois débuts de Mïi« Saînval dans Ariane ont été
des plus brillants : on lui remarque des silences et des coups de force
qui annoncent la plus grande intelligence et l'âme la plus énergique et
la plus sensible... Elle est supérieure à tout ce que nous avons à la Comédie^
même à M}^^ DumesniL »
De son côté, Voltaire trouvait la débutante sublime et
La Harpe, dans le Mercure, proclamait qu'elle atteignait
le grand pathétique.
Le troisième grand acteur que le théâtre de Lyon pré-
para pour la Comédie-Française , sous la direction de
M"'*' Lobreau, fut Jean Mauduit, dit Larive. Né le 6 août
1747 à La Rochelle (i), où son père tenait un fonds d'épi-
cerie, il s'enfuit à l'âge de neuf ans de la maison paternelle
et alla se réfugier chez les religieux de Sept-Fonds, dans le
Bourbonnais.
L'enfant fut embarqué plus tard pour les colonies et
passa plusieurs années à Saint-Domingue, d^où il s'échappa
pour revenir en France. Alors, passionné pour le théâtre,
il se présenta un jour chez Lekain sous un nom américain,
déclama des vers devant lui et emporta Tespérance que le
grand tragédien lui avait fait concevoir de le doubler un
jour à la Comédie-Française. Il alla aussitôt s'engager à
Tours dans la troupe de M"*^ Montansier, et dès lors il
quitta son nom de famille pour adopter un nom de guerre,
qu'il tira, en l'abrégeant, du nom même où était située la
maison de commerce de son père :
(i) Mort près de Montmorency, le 30 avril 1827.
40 LE THÉÂTRE A LYON
« De monsieur de La Rive il prit le nom pompeux (i). »
Ce fut vers '1767 que Larive vint à Lyon. Il y réussit
complètement ; mais, il vit avec un grand déplaisir Lekain
venir y donner quelques représentations et détourner l'at-
tention du public à son préjudice :
« Vous souvient-il de votre passage à Lyon en 1767 ? — écrivait
plus tard l'abbé Duverney à Lekain. — Vos succès constants à Paris
peuvent bien vous avoir fait oublier vos succès en province. Pour moi,
je n'oublierai jamais l'état d'ivresse où vous jetâtes la ville de Lyon ;
que vous jouâtes deux tragédies dans une soirée ; que vous fîtes souper
plus de deux mille Lyonnais dans la salle du spectacle ; et qu'avec votre
grande et belle réputation, pour garder ma place et voir Mahomet, je
courais le hasard de ne souper qu'à deux heures du matin, si M. le
commandant n'avait eu l'extrême obligeance de m'envoyer à man^
ger » (2)
Larive, qui était beau de visage, devait offrir un sin-
gulier contraste avec Lekain, lorsqu'ils paraissaient tous
deux sur la scène ; mais il avait moins d'intelligence et de
sensibilité que son rival.
Parmi les anecdotes qu'il raconte dans ses Réflexions sur
Fart dramatique, la suivante se rapporte à son séjour à
Lyon. Un jour que Lekain jouait Vendôme, Larive, sans
avoir prévenu personne, parut sous l'habit de Nemours.
Son apparition inattendue provoqua des applaudissements
assez vifs pour rendre sensible l'impression qu'ils produi-
sirent sur Lekain. Les premiers mots que prononça Ne-
(i) De Manne : Galerie de la troupe de Voltaire, p. 294 et suiv.
(2) Lettre du 26 juin 1772, dans les Mémoires de Lekain, Paris, 180:.
— On jouait alors les Scythes de Voltaire, dont la huitième édition s'im-
primait à Lyon, et qu'on répétait à la fois à Paris, à Lausanne et à Ge-
nève. (Corresp. de Volt., Ferney, 1 1 mars et 17 juilet 1767).
LE THÉÂTRE A LYON 41
mours sont : « Où me conduisez-vous? » — « Devant
votre vainqueur ! » lui répond Vendôme. Cette réponse,
d'une application si facile, passant par la bouche de
Lekain, fut la foudre tombant dans la salle, tant elle pro-
duisit d'effet. Mais ce que n'ajoute pas Larive, pour com-
pléter sa narration, c'est qu'il se trouva déconcerté au point
que toute l'exécution de son rôle s'en ressentit (i).
Malgré cet incident, Larive suivit Lekain à Paris, reçut
ses leçons et celles de M"** Clairon, alors retirée, et débuta
le 3 septembre 1770 à la Comédie-Française. « Lekain,
dit Bachaumont après ce début, forme un acteur dans le
tragique, dont il donne les plus grandes espérances, quant
au talent. Il a cinq pieds six pouces^ de grands yeux noirs,
des sourcils très-prononcés, le reste de la figure à l'ave-
nant : il n'a que dix-neuf ans (2). »
Les actrices se disputaient les rôles des pièces où il
jouait. Mais l'écrasante supériorité de son maître le fit
échouer : il partit pour Bruxelles et se condamna à quatre
ans d'exil volontaire, durant lesquels on le retrouve encore
avec Lekain au théâtre de Lyon.
Ce fut pendant l'été de 1773 , lorsque le patriarche
de Ferney écrivait à « l'auteur unique de la France et son
ancien ami », qu'il ignorait si sa « malheureuse santé »
(dont il se plaignait toujours), lui laisserait la force d'aller
l'entendre, lui promettant de faire le voyage de Ferney à
Lyon s'il voulait apprendre le rôle de Teucer pour l'y jouer:
« J'ai juré, ajoutait-il courtoisement, de ne voir jamais
aucun spectacle que ceux qui sont embellis par vous (2). »
(i) V. De Manne, ouvrage cité. — Larive est encore Fauteur d'un
Cours de déclatmiion et de Pyrame et TlnsU, scène lyrique. Paris, 1784.
(2) Mém. Sec, 10 sept. 1770.
(3) Corresp. de Voltaire, Ferney, 7 mai et 7 auguste 1773.
Du reste, pour se faire une idée de l'engouement dont
Larive était lui-même l'objet, il faut lire ces vers,- cités par
M. de Manne, qui furent adressés à cet acteur en plein
théâtre de Lyon, le i" juin de la même année, à une re-
présentation d'Œdipe :
« Interprète touchant de Melpomène en pleurs.
Toi qui sçais à ta voix intéresser les cœurs.
Dis-nous quel Dieu puissant te pénètre et t'enflamme.
Et parte dans nos sens le trouble de ton âme I
Œdipe, de ton être agitant les ressorts,
De la nuit du tombeau t'inspire les remords,
Tremblant, saisi d'horreur, je vois tes pas timides
Reculer à l'aspect des fières Euménides.
Tu vas peindre Orosmane et passer tour à tour
Des cris de la fureur aun soupirs de l'amour ;
Je m'attendris alors, et mon dme attentive
Au terribk Lehdn prifire de La Rive.
Tu fuis, à dell Oàsuis-je? Adieu larmes, plaisir. . ,
Cher Larive, reviens!,.. ■
U revint, mais six ans après. Rappelé à Paris sur les
instances de Lekain, l'acteur si vivement regretté des
Lyonnais reprit ses débuts le 29 avril 1775 et fttt admis.
n doubla Lekain, comme celui-ci le lui avait fait espérer, et
la mort du grand comédien le mit en possession des pre-
miers rôles.
Au mois de mai 1779, Larive vint "donner à Lyon trois
représentations ; il y eut tant de monde à l'une d'elles,
qu'il en résulta du désordre. Il était dix heures du soir ; on
venait de pendre un homme ; la foule qui avait assisté à
l'exécution se jeta dans les couloirs du Théâtre, battit la
garde, força les portes, et plus de trois cents personnes
entrèrent sans payer (i).
(i) Petite chroQ. lyon. au xvni* àècle, par M. de Voleine (Rev. du
Lyon. t. 19).
LE THÉÂTRE A LYON 43
IV
La Vestale. — J.-J. Rousseau à Lyon. — Le Concert, de 1760 à 1770.
Horace Coignet. — v^ représentation de Pygmaïion à THôtel-de-
Ville. ~ Le théâtre de société. — Mlle Sainval, la cadette. — La
grande intrigue du Théâtre. — M™* Lobreau à la Cour. — Hus et
Gaillard. — CoUot-d'Herbois au Théâtre de Lyon. — M"e Saint-
Hubèrti et le père Hyacinthe. — Direction de Mli« Destouches.
M"** Lobreau, qui eut le rare privilège de posséder dans
sa troupe tant de bons artistes et même des auteurs drama-
tiques, — comme Laméry, à qui Ton doit le Vingt-et-
un (i) — sut aussi faire jouer sur son théâtre, le 3 juin
1768, une tragédie proscrite par la Sorbonne, Ericit ou
la Vestale, qui présentait la vie monastique sous les couleurs
les plus effrayantes. Le même thème allait être reproduit
par La Harpe dans sa Mêlante. La sensibilité était à la mode,
on l'a dit plus haut, et l'on s'apitoyait sincèrement
sur le sort des religieuses cloîtrées, que l'on considérait
comme d'infortunées victimes (2). A la représentation, la
pièce eut le plus grand succès ; mais le prévôt des mar-
chands fut obligé d'en arrêter le cours, en présence des
clameurs que soulevèrent certains passages (3).
Une autre première, qui n'excita que de l'enthousiasme,
ce fut celle de Pygmaïion^ de J.-J. Rousseau et de notre
compatriote Horace Coignet. Avant d'y arriver, il ne sera
pas sans intérêt de rappeler dans quelles circonstances
(i) Comédie en i acte et en prose, ornée de chants et de danses
(Coste, Répert. lyon).
(2) Vingt ans plus tard, Camille Desmoulins acclama la Révolution
comme une délivrance pour les couvents.
(3) Mém. secrets, Bach. 11 juin 1768.
44 LE THÉÂTRE A LYON
cet opéra fut composé : cela se rattache encore à l'histoire
de Lyon.
Rousseau était déjà venu quatre fois dans notre ville (i).
On se souvient que, jeune et encore inconnu, le futur
philosophe passa une nuit à la belle étoile sur la berge
droite de la Saône, aux Etroits. Il est impossible d'oublier
les pages délicieuses qu'il a écrites sur cet incident de son
existence pauvre et aventureuse.
C'est à l'autre versant de la vie que nous le retrouvons.
Il avait cinquante-sept ans ; la sauvagerie de son caractère
s'était accentuée, et l'approche de la vieillesse Tavait rendu
misanthrope. Il vivait loin des villes ; il parcourait les
montagnes de la Suisse et du Dauphiné, herborisant,
botanisant ; cette étude était devenue une passion récon-
fortante qui rajeunissait son âme usée. La musique n'avait
pas cessé non plus de Toccuper : il achevait le poème de
Pygmaliony lorsqu'il vint à Lyon à la fin du mois de
mars 1770.
Rousseau se logea dans une chambre garnie de la maison de
hCouronned'or, place de la Comédie, ety passa trois mois (2).
Durant ce séjour, il consacra volontiers ses soirées aux
concerts de l'Académie des Beaux-Arts, qui avaient tou-
jours lieu le mercredi ou le jeudi de chaque semaine,
excepté de septembre à novembre, pendant le temps de la
villégiature. Pour éviter les entrées proscrites, les étrangers
se faisaient accompagner d'un officier de l'académie ou
d'un académicien. On exécutait du français, du latin et de
l'italien, des opéras-comiques, les Vendanges de Tempe (de
Favart), l'acte à'Anacréon ou des Surprises de l'Amour;
les Sauvages^ les Indes galantes^ les Fêtes de V Hymen (de
(i) En 1731, en 1732, en 1740» et en 1768.
(2) Péricaud, Tablettes chronol.
LE THÉÂTRE A L\'ON 45
Rameau), l'acte de PhiUmon et BatcciSy Jephté, tragédie en
musique (de Monteclair), le Carnaval du Parnasse^ etc., etc. ;
et toute cette musique profane était entremêlée ou suivie
de motets à grande symphonie, de Mondonville et de
La Lande, de Magnificat ou d^Agnus Dei des grands maî-
tres (i) De 1760 à 1770, on entendit, au Concert,
Warin et M"* Fargues, de l'Académie royale de Paris,
Itasse, Nicolas, Lobreau, M"'*' Charpentier, M"" Vanier,
Veyron, Renaud et Ferton, sans parler des nombreux ar-
tistes de passage et des amateurs de talent, comme
MM. Archaud deBellevue, d'Ambérieux et Horace Coignet.
Les bals qu'on y donnait en carnaval étaient fort brillants
et très-suivis ; il faut ajouter qu'on observait le carême et
que, si le concert ne fermait pas ses portes, on n'y exécutait
que la Messe de Gilles ou des m^otets nouveaux. Le chroni-
queur des Affiches reconnaît que x MM. les directeurs et
inspecteurs de l'Académie des Beaux-Arts ne négligeaient
rien pour rendre leur concert aussi parfait qu'on pouvait
le désirer. » Cependant, comme beaucoup de familles qui
ne passaient que Thiver à Lyon ne prenaient qu'un demi-
abonnement, les frais considérables de l'entreprise néces-
sitèrent, en 1767, l'organisation d'une loterie, dont les lots
gagnants consistaient en abonnements pour deux an-
nées (2).
La présence de Rousseau excitait un enthousiasme
d'autant plus grand dans la salle du Concert, qu'on y
avait déjà exécuté quelques-unes de ses œuvres musicales,
entre autres la cantate de la Naissance de Vénus et le Devin
de Village qui fut composé pour h partition avec la colla-
(i) Les nouveautés musicales se trouvaient chez Le Gou^,tnaitre de
i^usique du Concert^ et chez Castaud, place de la Comédie*
(2) AfficJjesde Lyon^ 1761 à 1770^ passim.
46 LE THÉÂTRE A tYON
boraiion du Lyonnais Gauthier (i). Horace Coignet (2),
fils d'un honorable négociant de notre ville, qui était déjà
connu comme un habile compositeur, a laissé d'intéres-
santes Part/c«/flniÉJj«r/.-/. SûMSseau pendant le séjour qu'il
fit à Lyon, en lyyo (j).
» Je fis sa connabsance, dh-ilj au grand Concert de cette ville
(c'était le Vendredi-Saint) : on y exécutait le Slabal de Pergolèse,
Rousseau était placé ditns une tribune, au plus haut de la salle, avec
M. Fleurieux de la Touvette. Je montai avec empressement pour
le voii. Il était assis sur une banquette placée en arrière. M. de
Fleurieux me fit signe d'approcher ; en même temps, ii disait à
Rousseau que j'étais un amateur, bon lecteur, et que j'exécuterais
bien sa musique- Moi, je lui dis que je voulais lui montrer quelque
chose de ma composition pour le soumettre à son jugement, sur quoi
il me répartit qu'il n'était pas louangeur. Il me donna rendez-vous
pour le lendemain, à deux heures après midi. M, Mazoyer (le père
de l'auteur de !a tragédie de Thésée) s'y trouva avec ses enfanis.
A mon arrivée, Rousseau me parut fatigué, et il me dit qu'il était
obligé de sortir dans un quart d'heure. La conversation roula sur l'har-
monie; je lui dis que j'avais son Diclionnaire, et il parut s'intéresser
à moi. Bientôt, me trouvant seul avec lui, je lui chantai l'ouverture
dfe mon opéra. Ma manière lui pîut, il me dît avec feu : « C'est csia,
vous yilu\» Alors, il me fil chanter différents motets de sa compo-
sition, tandis qu'il m'accompagnait avec une épinette. Il m'en demanda
ensuite mon sentiment. Je lui répondis qu'ils étaient chantants, mais
va pea petits i il en tomba d'accord avec moi, ajoutant qu'il les avait
composés pour des religieuses de Dijon. Il oublia qu'il avait à sortir ;
je restai chez lui jusqu'à cinq heures. A cette heure, il me proposa
d'aller à la promenade, et nous restâmes hors de la ville jusqu'à la
(1) Eod. loû. — Gauthier ne nous est connu que par o
du Journal encyclopédique du i«r avril 176}, p. i2î : h Le Devin de
Village, pièce charmante qui fera longtemps regretter la mort préma-
turée de M. Gauthier, musicien de Lyon. »
(a) Né i Lyon en 1736, mort dans cette ville le 2g août 1821.
(3) Publiées par Musset- Pathay, Hist. de la vie et dis ouvrages de
J.-J. RiMisseau, 1. 1, p. 461-72.
LE THÉÂTRE A LYON 47
Rousseau invita son nouvel ami à dîner pour le lende-
main. — « Comment ! dîner avec Jean-Jacques , » s'é-
cria Coignet, « de tout mon cœur ! »
« Il m'embrassa. Le dîner fut fort gai; sa femme fut seule en tiers
dans notre société. Nous trinquâmes, et nous étions à la deuxième
bouteille, lorsque je lui dis que je craignais de m'enivrer ; il me ré-
pondit en riant qu'il m'en connaîtrait mieux, attendu que le vin pous-
sait en dehors le caractère. »
« Après le dîner, il me communiqua son Pygtnaîion, et me proposa
de le mettre en musique, dans le genre de la mélopée des Grecs.
« Nous allâmes, pour le lire, dans un petit bois, situé non loin de
la ville, planté sur une colline qui descendait dans un vallon : là,
nous nous assîmes près d'un arbre sur la hauteur. Rousseau me dit :
« Cet endroit ressemble au mont Héîicon, » A peine eut-il terminé sa
lecture, qu'un orage, mêlé d'éclairs, de tonnerre, et accompagné d'une
pluie à verse, vint fondre sur nous. Nous allâmes nous mettre à l'abri
sous un vieux chêne. Ce local lui plut infiniment. Nous étions seuls
dans cette solitude qui dépend d'une maison fermée dont je connais-
sais le propriétaire, lequel se trouvait absent. Le temps redevenu
serein, nous revînmes en ville, et nous soupâmes ensemble ; pendant
le repas il raconta à sa femme notre aventure. »
Chargé de la scène lyrique de Pygtitalion, Coignet se mit
aussitôt à l'ouvrage et apporta le lendemain l'ouverture (i)
à Rousseau, qui fut étonné de sa facilité et très satisfait.
Le grand homme demanda au compositeur « de lui laisser
faire Vandante^ entre V ouverture et le presto, de même que
la ritournelle des coups de marteau, pour qu'il y eût
quelque chose de lui dans cette musique. »
La collaboration ainsi répartie, Touvrage fut bientôt
achevé. M. de la Verpillière, prévôt des marchands, et sa
femme, dont l'esprit et la distinction plaisaient fort à
Rousseau, voulurent donner à M. et à M'"'' de Trudaine,
(i) Une ouverture de Pygmalion fut exécutée au grand Concert dâ
Lyon, en 1767 : était-elle de Rousseau ?
48 LE THÉÂTRE A LYON
qui passaient à Lyon, le plaisir de voir, les premiers, jouer
Pygmalion sur un petit théâtre qu'ils avaient fait construire
à THôtel-de-Ville où ils logeaient.
Le théâtre de société était une fureur dans la seconde
moitié du xvm* siècle. Mis à la mode par la cour, le goût
de la comédie régnait dans le grand monde, et des mères
comme M"'*' de Sabran donnaient à leurs enfants pour
professeurs Larive et M^^^ Sainval (i). Des théâtres se
dressaient dans les hôtels et dans les châteaux, et il n'était
pas de procureur qui ne voulût avoir une troupe dans sa
bastide. Aussi bien, les spectacles de salon avaient-ils
leurs répertoires : c'était le Théâtre de Société de Collé ou
les Proverbes dramatiques de Carmon telle.
C'est sur la femme que le goût de la comédie exerçait
la plus puissante séduction. Il la faisait monter sur les plan-
ches et lui permettait d'être une actrice (2).
(1) A Lyon, M^e Hus enseignait à danser dans plusieurs commu-
nautés religieuses.
(2) « Il lui donnait, disent MM. de Concourt, l'amusement des
répétitions, Tenivrement de l'applaudissement. Il lui mettait aux joues
le rouge du théâtre qu'elle était si fière de porter, et qu'elle gardait au
souper qui suivait la représentation, après avoir fait semblant de se
débarbouiller. Il mettait dans sa vie l'illusion de la comédie, le men-
songe de la scène, les plaisirs des coulisses, l'ivresse que fait monter
au cœur et dans la tête l'ivresse d'un public. Que lui faisait un travail
de six semaines, une toilette de six heures, un jeûne de vingt-quatre?
N'était-elle pas payée de tout ennui, de toute privation, de toute fati-
gue, lorsqu'elle entendait à sa sortie de scène : « Ah I mon cœur, comme
un ange! Comment peut-on jouer comme cela? Cest étonnant! Ne me
faites donc pas pleurer comme ça ^..., Savez-vous que je nUn puis plus? »
ff El quelle plus jolie invention pour satisfaire tous les goûts de la
femme, toutes ses vanités, mettre en lumière toutes ses grâces^ en
activité toutes ses coquetteries ! Pour quelques-unes, le théâtre était
une vocation : il y avait, en effet, des génies de nature» de grandes
conlédiennes et d'admirables chanteuses dans ces actrice3 de société.
LE THÉÂTRE A LYON 49
La représentation donnée à l'Hôtel-de- Ville attira toute
l'aristocratie lyonnaise. M™* de Fleurieux remplissait le rôle
de Galathée ; celui de Pygmalion était tenu par Le Texier,
employé dans je ne sais quelle administration de la ville,
mais si habile lecteur, que Voltaire lui-même, enchanté
de son talent, écrivait à un de ses amis : « Entendez-le,
il me ferait écouter F Evangile! (i) » On compléta la soirée
par le Devin de Village^ où M""® de Fleurieux jouait Colette;
Le Texier, Colin ^ et Horace Coignet, le Dann. « Les
deux pièces furent bien rendues, dit ce dernier, et Pygmalion,
qu'on entendait pour la première fois, fit le plus grand
effet. Après la représentation, Rousseau vint m'embrasser
dans le grand salon, où la société s'était rendue, en me
ff Plus de dix de nos femmes du grand monde, dit le prince de Ligne,
jouent et chantent mieux que ce que j'ai vu de mieux sur tous les
théâtres. » Pour beaucoup, le théâtre était un passe-temps; pour
un certain nombre, il était une occasion ; pour toutes, il était une
fièvre, une fièvre et un enchantement qui n'était rompu qu'à ces mots:
« Ces daines sont servies, » On courait souper ; car on avait à peine
déjeûné pour être plus sûre de son organe. En passant, une glace
faisait voir à une ou deux femmes que leurs épingles étaient tombées ;
on pensait aux fautes. qu'on se ressouvenait d'avoir commises, on se
disait : J'aurais dû dire ceci autrement. Puis on se rappelait que deux
personnes, passant pour être bien ensemble, s'étaient parlé sur le troi-
sième banc. On n'était plus comédienne, on redevenait femme, et la
comédie finissait par une jalousie de talent, d'amant ou de figure y* {La
femme au dîx-hîiitiéme siècle, ipar MM. Edmond et Jules de Concourt,
I vol. in-i8. Charpentier, p. 131 à 137).
(i) Le Texier, né à Paris, avait un emploi dans une administration
où la dissipation de sa jeunesse le fit disposer de quelques fonds qui
lui étaient confiés. Obligé de quitter Lyon, il se réfugia pendant quel-
que temps auprès de Voltaire à Ferney ; il alk ensuite en Hollande et
en Angleterre, où il fit des lectures publiques de comédies, genref dans
lequel il excellait. Rentré en France en 18 14, il y mourut dans un âge
avancé. V. Biog, univers. Note de Beuchot, Corresp, de Voltaire, n'>679i,
Bachaum. Mém.secr., VII, 163, ai Paris, Versailles^ etc., I, 126.
'l
SO LE THÉÂTRE A LïON
disant : Mon ami, wtre musique m'a arraché des pleurs, :
Pendant les trois mois que Rousseau passa h Lyon, i
assista avec son collaborateur aux concerts que donnai
M. Cornabé, dont la faniiUe cultivait les arts. Il était invît
à des repas homériques chez M. de la Verpillîère ; la co
médie suivait le diner. On jouait la Comtesse de Fayel, tra
gédie de société, sur le même sujet que GahrkUe de Vergy
ou bien Mêlante, dont le rôle principal était si bien rempl
par M""" de Fleurieux, que Rousseau, avec cette sensibiliti
maladive qui donnait le ton à son siècle, répondit un soir i
ceux qui lui demandaient s'il était content : « Voyez moi
habit tout couvert de larmes ! »
Le philosophe de Genève fut reçu à la campagne che;
M"' Delessert et chez M"" veuve Boy de la Tour, d'uni
bonne famille suisse, chez laquelle il passa quelques jour
dans le site pittoresque de Rochecardon. Il herborisait
admirait la nature, écrivait son nom sur les rochers
Coignet chantait la romance du Devin de Village en s'ac
compagnant sur le violon, et Rousseau se trouvait aux plu;
beaux jours de sa vie. Il aurait sans doute prolongé soi
séjour à Lyon sans une circonstance que Coignet nou;
rapporte :
• Voulant faire enteuiJie au grand Concert un motet qu'il aval
composé, ii y avait alors vingt ans, Rousseau me chargea, à la pre
mière répétition, de conduire l'orchestre. Les musiciens en prirent di
['humeur contre lui, disant qu'il ne tes croyait donc pas capable
l'accompagner sa musique. Celle-d, froide et sans effet, se ressentai
il temps oCi il l'avait composée. Depuis, cet art avait fait des pa.
le géants, en Italie, gtSce à Jomelli. Piccini, etc. ; en France, grâce :
Philidor, Grétry, Monsigny. Des oreilles, déjà accoutumées à enten^
Jre leurs productions, ne purent être flattées du motet de Rousseau
malgré l'enthousiasme que sa personne inspirait.
« Enfin, son motet eut le sort que j'avais prévu ; il ne réussii
point. Une nombreuse réunion était allée pour l'entendre. Rousseai;
LE THEATRE A LÏON "5^
s'en prit aux musiciens. Le chagrin qu'il éprouva de ce mauvais succès
le décida à quitter la ville (i). »
Rousseau alla faire jouer à Paris son Pygmalion^ dont la
renommée avait déjà entretenu les nobles faubourgs (2),
où il fut aussi bien reçu qu'à Lyon. — Pendant Tété qui
suivit, l'intendant Jacques de Flesselles fit représenter
cette scène lyrique dans son château de Longchêne, près
de Saint-Genis-Laval, avec la Mêlante de La Harpe (3).
Au mois de Novembre 1773, la ville de Lyon reçut la
visite de la jeune comtesse d^Artois (4), qui venait de se
marier. ^(c L'entrée de la princesse eut lieu aux flambeaux.
' Le lendemain, elle alla à la messe à midi, à la bibliothèque
de l'Oratoire à cinq heures, et le soir à la comédie, où l'on
jouait la Partie de Chasse d'Henri IV, de Collé, et le
Déserteur, On se loua beaucoup de son honnêteté: elle fit
au moins douze révérences en entrant et autant à son
départ ; quoiqu'elle fût fort petite, on lui trouva un très-
beau teint, de beaux yeux, les mains et la gorge fort bien.
Le spectacle fut suivi d'un second feu d'artifice. »
Ce fut vers le même temps que M™^ Lobreau engagea
M^^^ Sainval la cadette, qui avait déjà obtenu à Paris un
« succès prodigieux » et dont M"® Clairon trouvait le
(i) Ce fut pendant le séjour de Rousseau à Lyon, que deux amants
se donnèrent la mort aux environs de la ville, parce que les parents de
la jeune fille s'opposaient à leur union; Rousseau leur fit une épitaphe.-
Cette triste histoire a fourni le sujet de plusieurs pièces de théâtre.
(2) Coignet prétend que Rousseau s'est laissé attribuer, dans les
salons parisiens et dans le Mercure ^ la paternité exclusive de cet opéra,
sans avoir jamais fait connaître son collaborateur.
(3) Petite chron. lyon», 20 août 1770 (Rev. du Lyon., 2« série, t. V).
{4) Marie-Thérèse de Savoie. — V. Petite Chron, (Rev, du Lyon.,
2c série, t. II).
52 LE THÉÂTRE A LÏOM
« talent réel et charmant ». Loin d'être jolie, maigre et
assez chétive, mais moins laide que sa sœur, elle avait de
la physionomie et mettait dans son jeu beaucoup d'âme et
de sensibilité. Une maladie avait suspendu ses débuts i la
Comédie-Française jusqu'au lo février 1773; M"' Rau-
court avait surgi pendant son absence, elle était belle, et le
parterre n'eut plus d'hommages que pour cette nouvelle
étoile. M"" Sainval revint donc en province, et le Théâtre
de Lyon retentit bientôt de ses succès. Elle y resta jusqu'au
départ furtif pour la Russie de sa rivale dont l'astre avait
pâli i son tour, et, le 6 juin 1776, elle rentra triomphale-
ment i la Comédie-Française. Elle ne revint à Lyon qu'en
1781, dans le plus mauvais état de santé et presque
mourante (i).
Depuis certaines lettres-patentes de 1764, les directeurs
de spectacles ne recevaient pluç de subvention. A Lyon,
les frais généraux de la direction s'élevaient à environ
170,000 livres par an, quoique les acteurs ne fussent pas
payés avec trop de prodigalité (2). Mais les directeurs
jouissaient toujours gratuitement de la salle, et cela suffi-
sait pour leur faire des envieux.
Une compagnie de négociants lyonnais qui offrit, sous le
nom d'un sieur Sordo, de payer à la caisse municipale un
loyer de 30,000 livres, obtint, par l'entremise d'un sîeur
([) Marie- Blanche Ahiary de Roquefort était née à Coursegoules,
le 2 septembre 1752. — V. Galerie hist. des portraits el des comédtatsde
lalrùiipede Voltaire. —Petit, cljron. (Rev. du Lyon., t. XIX).
{2) On trouve des ijtats de paiement dans les mss de la ville, en
1772-177Î :
Fleury, emploi d'Audinot, recevait. . . . ^,000 livres.
Hus pÈre « fils, maîtres de ballets. . . . 2,ïOO —
M"° Hus, danseuse 800 —
LE THEATRE A LYOM 53
L..., chef de bureau au contrôle général, un arrêt du
Conseil du Roi, en date du 19 février 1776, qui dépouillait
M""® Lobreau du privilège des spectacles, et qui le leur
concédait pendant trente années. Le consulat fut enchanté
de cette combinaison qui mettait de l'argent dans sa caisse
assez pauvre. Mais l'exercice du privilège dépendait du
gouverneur, le duc de Villeroy. Sans perdre de temps,
M""^ Lobreau écrivit à M. Bertin, ministre de la province :
« Je doute qu'à cette condition cette Compagnie puisse contenter
« les citoyens et avoir une troupe bien composée Vous ne souffrirez
n point, Monseigneur, qu'une infortunée que vous avez protégée et que
« vous daignez protéger encore, soit ainsi sacrifiée aux vues ambitieuses
« de quelques esprits remuants qui, pour retirer ces 30,000 livres, corap-
« tent augmenter les prix et se pourvoir de cette somme aux dépens
« du public. Ayez pitié de mon sort, Monseigneur. J'ose espérer qu'il
« ne sera pas dit que sous le Règne de V honnêteté, sous un ministre équi-
« table, aucune injustice vienne accabler un sujet de S. M... (3 mars
u 1776). »
Le procureur général, Prost de Royer, prit sa défense et
s'indigna. Pourtant, la directrice dut faire soumission, le
II avril suivant, de payer à la ville la somme offerte par ses
concurrents, pour conserver Texercice des spectacles.
Ayant ensuite obtenu du consulat un rabais de 10,000 li-
vres, elle fut de nouveau en butte aux vexations de Sordo,
qu'un nouvel arrêt mit en possession du théâtre. Le public
prit parti pour M""® Lobreau, et les acteurs se retirèrent en
masse, prétendant qu'engagés envers elle, sa retraite rési-
liait leurs traités (i).
Active, persévérante, celle-ci parvint, malgré le mystère
dont on avait enveloppé cette manœuvre, à se procurer une
expédition en règle du traité qui la dépouillait si injuste-
(i) Clerjon et Morin, i. vi, p. 438.
54 LE THÉÂTRE A LYON
ment, et par lequel les nouveaux entrepreneurs assuraient
à L... dix-huit mille livres par année, pendant leur exploi-
tation, et un pot-de-vin considérable. Munie de ces pièces,
M™* Lobreau prit une chaise de poste, se rendit à Versailles,
vit le duc de Villeroy qui faisait son service de capitaine
des gardes, et obtint la faveur de présenter elle-même à la
jeune reine un placet appuyé de pièces justificatives.
Louis XVI fut instruit de l'odieuse injustice dont cette
femme était victime. Déji prévenu contre Turgot pour
quelque intrigue de palais, le roi fit appeler ce ministre :
— « Votre chef de bureau L..., lui dit-il, est un firipon qui
abuse de votre nom pour dépouiller les gens honnêtes et
vendre les places à son profit. Faites-lui restituer ce qu'il a
reçu pour la direction du spectacle de Lyon : que l'ancienne
directrice soit remise dans ses droits et chassez cet
homme. »
La réprimande était aussi sévère qu'inattendue. Turgot,
ne connaissant point cette affaire, répondit qu'il s'en infor-
merait et que, si son commis était aussi coupable qu'on
l'avait rapporté à Sa Majesté, il lui ferait infliger une dure
punition. Le ministre, dont la conscience droite ne pouvait
comprendre une bassesse, s'adressa à L... lui-même pour
avoir ses informations, et celui-ci, ignorant la présence de
M™® Lobreau à Paris, nia effrontément les imputations qui
pesaient sur lui. Dupe de sa bonne foi, Turgot retourna
chez le roi, soutint l'innocence de son subordonné et se
plaignit amèrement de la méchanceté de ses calomniateurs.
Louis XVIl'écouta patiemment, puis il tira de sa poche les
papiers que la reine lui avait remis sur cette affaire, les jeta
sur la table et tourna le dos, en disant :
— « Je n'aime ni les fripons, ni ceux qui les soutien-
nent! »
Le lendemain, Turgot quitta le ministère; le roi le
, L. A./ ^ Il naai»! I
LE THÉÂTRE A LYON $$
remplaça par M. de Clugny, et un nouvel arrêt du conseil
confirma le privilège de M""® Lobreau, moyennant l'obliga-
tion de payer 30,000 livres de loyer (i). Ce rapprochement
d'une anecdote de théâtre et d'un fait historique montre
une fois de plus que la fortune politique tient souvent à de
bien faibles causes.
Plus tard, la directrice, n'ayant plus à craindre de concur-
rence, réclama la remise du loyer ; mais le consulat ne crut
pas devoir faire droit à cette demande :
« Comment, répondit-on, pounrions-nous y être favorables, tandis
que nos hôpitaux ont besoin des secours les plus prompts?... que
la dette municipale monte peut-être à quarante miîlionSy et que tous
les revenus de la ville sont réduits à deux millions trois cent trente-huit
mille livres, compris les trente mille contestés par la directrice (2) ? »
Ces raisons étaient excellentes. Mais la direction s'en-
dettait. En 1779, on jugea à propos d'adjoindre à M™^ Lo-
breau deux associés, Hus et Gaillard, qui cherchèrent à
accroître les recettes par tous les moyens possibles. Ils fi-
rent venir Préville, qui donna quelques représentations aux
mois de novembre et décembre 1780; ils donnèrent des
ballets-pantomimes, tels que les Quatre fils Aymon, d'Ar-
nould, les Amours d'Enée et de Dtdon, de Noverre, et la
Belle au bois dormant. Ces exhibitions « étaient très-plates
(i) Dugas de Bois Saint-Just : Paris ^ Versailles et les Provinces^ t. I,
p. 39. — Mémoires de Fleury. — Mémoire pour la direction des spec-
tacles de Lyon, 1776 (mss. Biblioth. Coste). Le nouvel arrêt du Con-
seil est du 31 mai 1776; il fut confirmé par deux arrêts d^s 22 janvier
1777 et 1778.
(2) Clerjon et Morin, loc. cit. — La ville avait créé en 1757 une
place d'inspecteur de la salle des spectacles. Cette place fut supprimée
en 1777, ^^ le sieur Morand, qui recevait une pension de'mille livres,
comme titulaire, reçut $,000 livres à titre d'indemnité. (Arch. delà
ville, mss.)
56 LE THÉÂTRE A LÏON
et les décorations, annoncées avec emphase, étaient trc
vées des plus mesquines par les véritables connaisseurs
Enfin, Hus et Gaillard exploitèrent la vogue de la o
médie de société et prêtèrent leurs sujets à tous les sale
qui payaient largement, si bien qu'un règlement du d
de Villeroy, en date du 3 1 mars 1780, finit par leur int£
dire de donner des représentations dans les maisons par
culières, cet usage étant préjudiciable au succès des speci
des publics et détournant les acteurs du théâtre (i).
-Malgré les embarras financiers de la direction, la trou
était bien composée, et les chroniqueurs se plaisaient i
reconnaître, avec ta pointe d'ironie qu'ils mêlaient \ It
critique. Qu'on en juge par les termes dans lesquels s'i
primait l'auteur de la Peljle chronique :
« 17 juin 1781. — La petite pièce de la Soirù Villageoise a été as
bien rendue. La neige u'étoit point mal, surtout sut les aibrcs; pi
celle qui tomboit, i! arrivoit souvent qu'il n'en tomboit que d'un cô
il y avoit jusqu'à !a perruque de Saint-Far (i), qui fatsoit le bdlly,
en dtoit couverte. C'éioit la petite Frédéric, quijouoil à ravir le rôle
Babet ; Saint-Aubin, l'amoureux; la Rosanibett. h mère; le gros Mu
le père. On donnoit avec le Barbier de Sh'ilk, qui fut joué indig
ment par le fameux Beaiiinemil, qui jouoît le comte, on le hua et sif
M'i' Solier, autreracni M™* Hus la jeune, prend asseï bien, elle,
rôles d'amoureuses coquettes. »
<t 12 juillet. — La femme de Darboville a débuté; c'est une persoi
assez jolie ; elle est au-dessus des Clairville, des Bouquet et des Frédi
pour le jeu et la voix. Ainsi l'opéra comique est tnonlé stipirieuremnit.
Le Gros (2)est enfin arrivé et a donné déji deux représentations d'i
phée. A la première tout fut pitoyable, et il arriva ua accident qui
(i) Petit, chron. déc. 1780, juin et juillet 1781. — Répert. lyona
— Arch. mss.
(2) Legtos (Josepli)t célèbre chanteur de i'Opéra (haute-conl
17Î9-I79Î. — Tous les acteurs cités ici par le chroniqueur sont à
s aujourd'hui, même « le fameux Beaumesnil, »
LE THÉÂTRE A LYON $7
beaucoup de bruit. Dans le ballet des Diables, que M. Désombrages ren-
doit si bien, Hus le fils, en sortant de la caverne avec des torches et une
plaque enflammée à Tesprit de vin sur Testomach, fit détacher cette
plaque en gesticulant, et elle alla tomber dessus les spectateurs. »
Pourtant^ soit que les acteurs ne fussent pas payés, soit
que certain ballet de la Rose et du Bouton eût choqué quel-
ques personnes, qui avaient prié le commandant (i) d'in-
terposer son autorité pour qu'il ne parût plus, il y avait au
théâtre un levain de cabale. Hus chassa deux actrices, entre
autres la coquette Valville ; il y eut du tapage. Le comman-
dant fit venir Hus^ qui l'apostropha en lui disant que
« c'était lui qui faisait tout le bruit et était le seul cabaleur. »
Le major se fâcha, comme bien on pense, ce ne fut cepen-
dant que quatre mois après et à la suite d'une nouvelle im-
pertinence, que le directeur fut disgracié et obligé, en
venu d'une lettre de cachet, de quitter « le tripot » dans les
vingt-quatre heures et la ville dans les huit jours. Mais si
la vengeance est le plaisir des dieux, la clémence est le de-
voir des administrateurs : au bout d'un mois, Hus rentra à
la direction du Théâtre et, en janvier 1782, le balle.t de la
Rose et du Bouton reparut sur l'affiche (2).
I L'année théâtrale qui commença en avril 1782 amena sur
l ' la scène lyonnaise un homme dont le nom devait avoir
dans la suite une sinistre signification : c'était CoUot
d'Herbois, le futur terroriste de Lyon. Né à Paris en 1750,
(i) Joseph Vial, échevin, commandant en l'absence de M. Fay de
Sathonay. — Petite chron. (Rev. du Lyon» t. xix), 14 août et 13 déc.
1781. — Antoine Fay> seigneur de Sathonay, fut prévôt des marchands
de 1779 à 1784.
(2) Petit, clrron, eod. loc. 24 janvier 1782.
58 LE THÉÂTRE A LYON
d'une famille bourgeoise qui lui donna de Téducation, il
avait, comme son collègue Billaud-Varennes, commencé
par faire partie de la congrégation de l'Oratoire. Son nom
de famille était Collot; devenu acteur, il se faisait appeler
D'HERBOIS. Avant de venir à Lyon, il avait joué sur plu-
sieurs théâtres de province et composé une dizaine de piè-
ces médiocres. Leur date et le lieu de leur publication
marquent la trace de son passage, à partir de 1772, à Bor-
deaux, à Nantes, à Avignon, à Amiens, à Paris et à La
Haye (i). Il paraît que dans le cours de ses pérégrinations
le futur conventionnel ne fut pas d'une vertu à toute
épreuve. « C'était un repris de justice^ » dit M°*^ Roland ; il
avait été « condamné ^ dans le Midi, à un an de prison pour
une vilaine action^ lorsqu'il courait les tréteaux, et pour \2i-
(\\xq\[q plusieurs juges avaient opiné aux galères (2). »
En 1782, Collot d'Herbois avait trente-deux ans. Il était
(i) Collot d'Herbois avait publié successivement :
Lucie ou Us Parents imprudents ^ drame, Bordeaux, 1772 ; Nantes,
1774; Avignon, 1777; La Haye, 1781.
Le Paysan magistrat, comédie en $ actes et en prose, imitée de Cal-
déron, 1777. La ^e édition, que les biographes ne mentionnent pas, fut
publiée à Lyon, chez Castaud, en 1782.
Le vrai généreux ou les bons mariages , drame, Paris, 1777. ^
Le bon Angevin ou Y Homme de Cœur, comédie, Amiens, 1777. Q^fjUhA^O''^
Le nouveau Noslradamus ou les Fêtes pi'OvençaJes, comédie, Avignon
1777.
Le Bénéfice^ comédie, Paris, 1778. »-
Les Français à Grenade ou VImpromptu de la guerre et de Yamcur, }jJÀt ^
Usinant loup-garou ou Monsieur Rodomont, comédÏQ y Paris, 1780. ]")'^
La Fête Dauphine ou le Monument français, Paris. 1781.
Après une lacune de neuf années, qui furent celles de son séjour à
Lyon, Collot d'Herbois reprit la suite de ses publications par V Inconnu
ou le Préjugé vaincu (Paris, 1790). — V. Nouvelle hiogr, génér,
(2) Mémoires dç Afme Roland^ édition Hachette, p. 224^
LE THÉÂTRE A LYON 59
de taille moyenne, avec le teint brun, les cheveux noirs et
crépus, le regard inquiet ; du reste, il était doué d'un assez
beau visage et d'un organe sonore (« une grande force de
poumons, » dit encore M™® Roland). Ces qualités physiques
jointes à un vrai talent d'acteur lui conquirent bien vite la
sympathie du public lyonnais, devant lequel il remplit avec
succès l'emploi à^s grands premiers rôles comiques (i). Il faut
rejeter comme inexacte l'assertion, généralement admise et
reproduite par tous les biographes, d'après laquelle CoUot
d'Herbois aurait été sifflé au Théâtre de Lyon et « aurait
plus tard fait payer cher à cette malheureuse ville un acte
de justice réclamé parle bon goût (2) » Le lecteur verra
plus loin quelle est la source de cette erreur si accréditée
et sur quelles preuves s'appuie l'opinion contraire.
On n'aurait pas souffert longtemps un premier rôle sif-
flé, dans « une des troupes les mieux composées qu'il y eût en
province^ avec un spectacle tous les jours, et qui embrassait
tous les genres, depuis le grand opéra jusqu'aux pièces des
boulevards, depuis la tragédie jusqu'aux ballets-pantomimes,
et des assemblées nombreuses et brillantes (3). »
En 1783, a plusieurs circonstances contribuèrent hembel
lir h spectacle, » L'archiduc et l'archiduchesse de Milan
l'honorèrent de leur présence. Lemierre, Mercier, de Piis
(i) On lit dans la Petite cb'onîque : « 10 mai 1782. — Collotd'Her-
bois, nouvel acteur dans les grands rôles comiques, continue à faire plaisir
(Rev. du Lyonnais, 2^ série, t. XIX, p. 461). » — Dans une lettre
adressée aux auteurs du Journal de Paris et insérée dans le n» du 13 oc-
tobre 1782, Coliot d'Herbois prend le titre à^ premier acteur du théâtre
de Lyon,
(2) S\c^ Biogr. univers, à^ Michaud, Nouvelle Biogr, gêner . (Didot),
etc., etc. — Le Dictionnaire universel du XIX^ siècle^ de M. Larousse,
est le seul, croyons-nous, qui ait rétabli la vérité sur ce point.
(3) Jourfial de Lyon ou annonces et variétés littéraires, pour servir de
suite aux Affiches de Lyon, par Mathon dç La Cour, 8 janvier 1783,
60 LE THÉÂTRE A LYON
et MarsoUier des Vivetières vinrent faire jouer à Lyon plu-
sieurs de leurs ouvrages. Les tragédies de Guillaume Tell y
à'Artaxerxe, de Barnevelt furent représentées pour la pre-
mière fois.
Céphise, comédie de MarsoUier, fit le plus grand plaisir :
« Tous les traits, dit Matlion de La Cour, ont été sentis par
les spectateurs et les rôles rendus avec beaucoup d'intelligencey
de finesse et d'ensemble par M"*'"' Valville et Francheville, et
MM. Chevalier, à'Herbois et Restier (i). » Larive fit une
nouvelle apparition sur notre scène. Enfin, la fameuse
M"^ Saint-Huberti (2), de l'Opéra, vint chanter pendant le
carême dans plusieurs opéras comiques. Elle séduisit tout le
monde : on la trouvait laide au lever du rideau, « mais, dès
qu'elle ouvrait la bouche, on oubliait sa laideur et on la
trouvait superbe. La vérité de son jeu touchant et passionné,
son abandon sublime, la magie de son chant, la sensibilité
de son organe, ses attitudes animées et pittoresques attirè-
rent une affluence sans exemple de spectateurs émus, qui
accueillaient chaque jour cette actrice inimitable avec des
vers, des couronnes et des cris..'. »
Par un singulier contraste, la même société qui applau-
dissait chaque soir la Saint-Huberti, se pressait le matin,
avide d'émotions nouvelles, dans l'église de l'Hôpital pour
entendre un carme, prédicateur en renom, iQpère Hyacinthe^
qui avait été comédien, et qui, « avec beaucoup d'onction,
des gestes trop significatifs et sentant le théâtre, prêchait
(i) Restier, né à Lyon en 1726, y mourut en 1803. — V, Journal de
Lyon.
(2) Antoinette-Cécile Clavel, dite Saint-Huberti, née à Toul en
1756, avait débuté, en 1777, à l'Opéra, où elle fit une réforme dans les
costumes. Elle suivit à Londres, en 1791, le comte d'Entragues qu'elle
avait épousé et fut assassinée avec lui, en 182 1. — V. Journal de Lyon^
1783. Petite chron, 20 mars et 3 juillet 1783.
I
•
LE THÉÂTRE A LYON 6l
contre les spectacles et faisait trembler tout son ?lidi-
toire. »
Ce fut à ce moment que M*"^ Lobreau quitta la direction,
avec les deux hommes qu'on lui avait adjoints. Elle laissait
80,000 livres de dettes, ce que les malveillants attribuaient
à un gaspillage de sa part. Mais l'autorité ne fut pas de cet
avis : M™*^ Lobreau fut remplacée par sa sœur. M"*" Des-
touches, afin que l'ancienne directrice, « femme hahihy
écrivait M. Fay de Sathonay à M. de la Verpillière^ aidât
celle-ci de ses conseils et de son honnête expérience (5 avril
1783). » Cependant, pour plus de garantie, on adjoignit à
M^^^ Destouches un sieur Hachette de Villiers (i).
(i) V Annuaire administratif de Lyon et du département du Rhône^ publié
par la maison Mougin-Rusand, cite, à l'article Sainte-Foy, quelques
habitations renommées de ce bourg si aimé des Lyonnais, et, entre au-
tres, la maison de campagne de M»^* Lobreau, dont le propriétaire
actuel a conservé avec soin le souvenir.
tt Un chemin appelé les Etroits, dit V Annuaire, et qui a longtemps
justifié son nom, dépend de Sainte-Foy; il suit la rive droite de la
Saône jusqu'au pont de la Mulatière; le coteau, au bas duquel il est
placé, est décoré de plusieurs maisons de plaisance entourées de jardins
et de frais ombrages. De ce nombre est celle appelée la Maison Grise,
qui appartenait naguère à M. Léon Cailhava et qui fut la demeure du
célèbre sculpteur Jean Thierry ; plus haut, celle de M. Richard, sur-
montée d'un observatoire ; celle dite le Château de Bellevue couverte en
tuiles vernies ; enfin celle de M. Fougasse, qui appartenait, sous
Louis XV, à Mnie Lobreau, directrice du théâtre de Lyon ; on y lit
encore cette inscription, dans le salon où elle recevait ses administrés
et les gens de lettres :
a Certain proverbe dit qu*il nous est défendu
De parler corde au logis d'un pendu.
Vous qui lisez ces vers, la dame vous en prie,
Ne parlez point ici de comédie, »
Mme Lobreau étant morte depuis longtemps, il nous sera permis sans
doute de dire que, dans celte villa charmante et si bien située, Larive a
joué la comédie, Fleury a récité des vers, les artistes les plus goûtés du
1
I
62 LE THÉÂTRE A LYON
•
M'"* Lobreau mourut le 5 septembre de Tannée sui-
vante. Ce jour-là, il y eut relâche extraordinaire au Théâtre :
« les comédiens crurent devoir cette marque de respect à
une ancienne et bonne directrice, qui fut regrettée de tous
et plus particulièrement des pauvres de la paroisse de Saîntr
Pierre. » Saint-Aubin, régisseur d'un nouveau petit théâtre,
Y Ambigu- Comique^ fit en l'honneur de la défunte cette épi-
taphe, plus élogieuse pour cette femme que si elle était
conçue en beaux vers :
« Ci-gît, dont les vertus honorèrent Thalie,
Qui pour plaire au public ne sut rien négliger,
Et de tous hs plaisirs qu'on perd avec la vie
Ne regretta que celui d'obliger (i). »
public se sont fait entendre devant un aut^itoire de choix, et qu'aujour-
d'hui encore, on y peut admirer certain nombre de portraits de ces
acteurs et de ces actrices dont les noms resteront dans l'histoire de l'art.
(i) Archives mss de la ville, passim. — Petit, chron, ^ Journal de
Lyou, sept. 1784. — V Ambigu-Comique s' était récemment établi dans
la salle Arnaud, à Saint-Clair, où l'on donnait depuis longtemps des
spectacles d'enfants et de gymnasiarques.
« Une petite troupe de 40 enfants, filles et garçons, installée à la
salle d'Arnaud, sous le nom d' Ambigu-Comique et sous la direction de
Frossard, maître de ballet, joue trois fois la semaine. Ils sont char-
mants, font courir toute la ville, par l'ensemble, la précision qui règne
dans leur danse, la finesse, le tact, le bien joué avec lequel ils rendent
leurs différentes pièces qui, très-jolies, n'ont d'autre inconvénient que
d'être un peu trop libres. (Rev. du Lyonn. t. XX, Petit, cJjron, ler mai
1784). » — Une affiche conservée aux archives donne le programme
de la réouverture de ce théâtre le 4 avril 1785 : « Arlequin Deucalion,
compliment de M. de Saint- Aubin, &iï Elève de la Nature ou le Sauvage
apprivoisé. »
Il était fort inconvenant de faire figurer des enfants dans di:s ballets
et des scènes grivoises. M. de Vergennes, ministre de Louis XVI, fit
' cesser ce scandale en interdisant les spectacles d'enfants (Lettres du 7
juillet 178s, archives de la ville^ mss. DD. Théâtre).
LE THÉÂTRE A LYON 6j
La première année de son administration, M"* Destou-
ches fut forcée de recourir à des emprunts. Plusieurs ac-
tionnaires avaient avancé des sommes considérables, et
cependant la direction continuait à éprouver des pertes.
Ceux-ci s'alarmèrent et voulurent être payés. Mais ils ne
pouvaient l'être que par la création d'un certain nombre d'ac-
tions nouvelles, dont une partie fût employée à la désinté-
resser et l'autre à soutenir l'entreprise. Dans cette situation,
M"* Destouches sollicita et obtint du duc de Villeroy l'au-
torisation d'émettre un nombre d'actions déterminé (i),
ce qui lui permit momentanément de faire face aux frais
toujours croissants de la direction.
V.
Montgolfier et les ballons au Théâtre. — Les illustres visiteurs. —
Mmes Vestris et Dugazon. — Cagliostro à Lyon. — Avalanches de
fleurs. — Fabre d'Eglantine sifflé. — Départ de M^le Destouches.
— Le Lycée ou Salon des Arts. — Direction de Collot d'Herbois. —
Sa correspondance et ses réformes. — W^^ Feuchère.
Avide de plaisirs et docile à tous les entraînements de
la mode, le xviii*^ siècle , « l'âge d'or des chandelles
romaines, » accueillit avec un enthousiasme incroyable les
premières découvertes de la physique. Le ballon fut le grand
divertissement de l'époque à laquelle nous arrivons.
La France entière suivit avec une attention fiévreuse
(i) Lyon ancien et mod,, t. II, p. 342 et suiv. — Un acte de société
fut déposé chez M* Baroud, notaire, qui devait en recevoir le produit
en qualité de séquestre. Les actions furent fixées à 500 livres chacune*
Le porteur devait avoir l'entrée gratuite, le $ p. 0/0 par an, et une part
dans les bénéfices. (Eod.loc).
64 LE THÉÂTRE A LYON
Tascension que fit Montgolfier à Lyon, le 19 janvier 1784.
Une foule innombrable était accourue pour voir ce prodige.
Les comtes de Laurencin, de Dompierre et d'Anglefort de
la Porte, le prince Charles d' Aremberg-Ligne, venus exprès
pour assister à cette merveilleuse expérience, enfin Pilâtre
du Rozier et un M. Fontaine avaient pris place dans la
nacelle à côté du célèbre inventeur. On sait que les voya-
geurs aériens faillirent perdre la vie (i).
Le soir, les étrangers envahirent le Théâtre où l'on jouait
IphygénieenAulîde. Le spectacle était commencé, lorsque
l'intendant, Jacques de Flesselles, et sa femme entrèrent
dans leur loge, accompagnés de Montgolfier et de Pilâtre du
Rozier. Au milieu des applaudissements et des cris du
parterre, on baissa le rideau pour recommencer la repré-
sentation. Puis, l'acteur Darboville, qui remplissait le rôle
d'Agamemnon , présenta à l'intendante des couronnes
qu'elle distribua aux sept voyageurs. Le spectacle fut
repris, et lorsque M"° Clairville chanta, dans le rôle de
Clj^emnestre :
« Q.ue j'aime à voir ces hommages flatteurs , »
elle se tourna vers les héros de la journée, qui furent
reconduits, à la sortie du Théâtre, jusque chez le comman-
dant, où un souper était servi. On ne cessa, pendant toute
la nuit, de leur donner des sérénades (2).
Depuis ce jour, la poésie, la gravure, la chanson, le
(i) V. Mèm, secr. janv., fév. et 4 août 1784, sur la fin tragique du
comte d'Anglefort.
(2) Journal de Lyon, 19 janvier 1784.
LE THEATRE A LYOK
théâtre, tout se rapporta aux ballons. L'Académie de Lyon
proposa, pour la direction des aérostats^ un prix dont
Jacques de Flesselles et le marquis de Saint- Vincent pro-
mettaient de faire les frais. Le 9 février suivant, le Théâtre
donna la première représentation du Ballon^ ballet-panto-
mime en trois actes, « dédié à MM. les Lyonnais amateurs
de' Vaérostale (sic) ; ». quelques jours après, on exécuta un
autre ballet, V Amour dans h Globe, où un détestable crispin
figurait Montgolfier, et où l'on voyait un berger et une
bergère s'enlevant dans un globe aérien. Enfin, on donna
pour la première fois, le 21 février, la Mort d'Hercule, grand
ballet héroïque, de la composition de Joubert, nouveau
maître de ballets du Théâtre (i).
Le roi de Suède, voyageant incognito sous le nom de^
comte de Hagûy arriva le 3 juin 1784, à quatre heures du
soir, dans un mauvais « berlingot, » accompagné d'un de
ses principaux officiers et d'un seul domestique. Il descen-
dit à Y hôtel d'Artois, rue du Plat, prit un bain, fit sa toi-
lette et parut le soir même au Théâtre, où l'on jouait la
Fausse magie. On eut le soin de réclamer ses ordres pour
le spectacle du lendemain ; le roi demanda Warwick, de
La Harpe, et V Amant jaloux. Le 5, il se rendit aux Brot-
tcaux, pour assister au départ de V aérostat de Fleurant,
peintre lyonnais, qui avait donné à ce ballon le nom de
Gustave, ce dont le prince fut fort touché. Fleurant fit l'as-
cension avec une Lyonnaise, M"^^ Tible, la première femme
qui soit montée dans les airs. Les deux voyageurs furent
présentés au roi pendant le spectacle et furent accueillis
par le public avec des couronnes et des guirlandes. De
(1) TabUttes chronologiques, — Petite chroii,, 15 fév. 1784. (Rcv. du
Lyon., t. XX).
S
66 LE THÉÂTRE A LYON
toutes parts, le comte de Haga, malgré son incognito,
reçut des vers et des couplets (i).
• Le même été, Lyon eut la visite du prince Henri, frère
du roi de Prusse, «petit homme très-laid, mais, assurait-on,
plein d'esprit, » qui voyageait aussi incognito, sous le nom
de comte d'Oels^ et qui. arrivait de Genève. Il alla tous les
soirs au spectacle, où il y avait beaucoup de monde ; il
parut même à un bal masqué, et il s'en alla, comme le roi
de Suède, accablé de vers (2).
Préville jouait alors au Théâtre, ainsi que M™* Vestris(3),
pensionnaire du roi^ qui se faisait applaudir pour la pre-
mière fois à Lyon. Dans les rôles (ÏAménaïdcy de Gahrielle
de Vergyy de Rodogune, de Phèdre, cette actrice fit preuve
d'un talent toujours décent et naturel : belle , pleine
de dignité et de grâce, mais plutôt « faite pour plaire aux
vrais connaisseurs que pour éblouir le vulgaire, elle char-
mait plus qu'elle n'étonnait ; » ce qui n'empêcha pas les
dilettanti, pour se conformer à une mode devenue fasti-
dieuse, de lui prodiguer des vers et des bouquets, comme
à un simple monarque.
Quelques mois auparavant, M^^*' Sainval la cadette était
(i) De Viran, sous le pseudonyme à'Anârieu, s'écriait dans le
Journal de Lyon ;
tt O vous que l'univers contemple,
« Prenez Gustave pour exemple.
A Le bonheur des sujets fait la gloire des rois. »
(2) Journal de Lyon, 1784. — Pet, c^ro»., août 1784. (Rev. du Lyon,
t. XX). — « Lyon, dit une correspondance du temps, commence à se
lasser de la visite des souverains; rien de plus ennuyeux que la peine
qu'on se donne pour les voir. »
(3) Marie-Rose Gourgault-Dugazon, sœur de Dugazon et femme de
Paco-Vestris (frère de Balthazar), élève de Lekain, 1746-1804. —
Jonrn» de Lyon, 1784, passim.
LE THÉÂTRE A LYON 67
venue « cueillir de nouveaux lauriers » à Lyon et avait
obtenu un succès toujours croissant dans Alzire et les
Orphelins de la Chine^ dans Inès de CastrOy Didony ArianCy
etc. Ces grandes comédiennes étaient « heureusement
secondées par Chevalier et par ColIot-d'HerbaiSy » qui avait
abordé la tragédie ery avait (aie plus grand succès. » Aussi,
le compliment de clôture, prononcé par l'acteur Gervais,
n'était-il pas déplacé cette fois, malgré la banalité de ses
termes :
tt L'année que nous terminons — disait-il — doit tenir sans doute
le premier rang parmi les époques heureuses de notre théâtre. Jamais
circonstances si rares et si favorables ne se sont succédé avec autant de
rapidité pour notre gloire ; jamais assemblée plus nombreuse et plus auguste
n'avait fait l'ornement de ces lieux (i). »
Le départ de l'intendant Jacques de Flcsselles, au mois
d'août suivant, mit la société lyonnaise au désespoir. On
trouvait chez lui bonne table et grand monde ; en automne,
on allait à Longchêne, où il donnait des fêtes et des repré-
sentations^ dramatiques. Le château s'ouvrait à tous les
artistes célèbres, les comédiens eux-mêmes y coudoyaient
les grands seigneurs : le goût du plaisir avait détruit l'an-
cienne étiquette, et certaine noblesse avait étourdiment
compromis son blason. Terray, le nouvel intendant, qui
venait de Limoges, « n'aimait pas la dépense, et sa femme,
très-aimable, donnait dans la chimie (2). »
La chimie, le magnétisme, le baquet de Mesmer : voilà
(i) Journ. de Lyon y 1784, passim.
(2) Pet. chron, loc. cit. 23 août 1784. — Au début de la Révolution,
Jacques de Flesselles était prévôt des marchands à Paris. Il fut massa-
cré par le peuple le jour de la prise de la Bastille.
68 LE TfllÎATRH A LYOK
le dernier mot du siècle « qui avait dans le sang le virus de
toutes les curiosités. » Les miracles que la médecine ortho-
doxe était impuissante à produire, on les demandait au
charlatanisme. « Une superstition grossière, dit M.Anatole
de Gallier, semble gagner tout ce qu'a perdu la foi. Parmi
ces imposteurs vulgaires, conjurateurs de fantômes, cher-
cheurs de pierre philosophalc, inventeurs de panacées,
Cagliostro se dégage et remue les foules presque autant que
Voltaire (i). »
Déjà l'avocat lyonnais Nicolas Bergasse, célèbre surtout
par le procès qu'il soutint contre Beaumarchais, et quel-
ques médecins de Lyon, s'étaient occupé de ces questions
brûlantes, lorsque, au mois de novembre 1784, Cagliostro
vint préparer la fondation de la loge-mère de son rit égyp-
tien. Le fameux aventurier ne partit que vers la fin du mois
de janvier 1785 pour se rendre à Paris, après avoir fait
dans notre ville un assez grand nombre de dupes (2).
Beaumarchais, que l'on vient de nommer, faisait alors,
dans les journaux de Paris, une croisade en faveur des
pauvres mères-nourrices et leur offrait son droit d'auteur
sur les représentations du Mariage de Figaro à Lyon. Les
idées humanitaires ne restaient pas toujours à l'état de
théories. Ce fut aussi au profit des pauvres mères-nourrices
(i) La vie de Province au xviii« siècle, Paris^ Rouquette, i vol. în-8,
p. 8$.
{2) TahL chron, — On publia en 1784 : Discours sur le magnétisme,
lu dans une assemblée du collège des médecins, le 15 septembre 1784,
par M. O. Rian, Dublin (Lyon) in-8. — Aperçu sur le magnétisme ani-
mal ou Résultat des observations faites à Lyon sur ce nouvel agent, par
J. E. Gilibert, Genève (Lyon), in-8. — Détail des cures opérées à Lyon
par le magnétisme animal, selon les principes de M, Mesmer, par M. Orélul,
Lyon, Faucheux, in-8. — Rapport de l'un des commissaires (A.-L.
de Jussieu) chargé par le roi de V examen du magnétisme animal, Paris,
veuve Hérissant, 1784^ in-8.
LE THÉÂTRE A LYON
69
qu'on donna, le 3 mars 1785, la première représentation de
Norac et Javolciy drame en trois actes et efi prose, de Mar^
soliier, tiré des Mémoires de Beaumarchais. La recette
s'éleva à 3,674 livres, que M"^ Destouches envoya au dépôt
des secours (i).
M"*^ Dugazon (2), de la Comédie Italienne, vinjt pour la
première fois à Lyon au mois de mai 1785. Elle joua dans
Biaise et Babety dans Y Amant jaloux et dans Rose et Colas. Un
soir, on lui jeta d'une loge une couronne de laurier, de
myrte et de roses, accompagnée de cqs vers de Patrat,
acteur du théâtre de Lyon et auteur du Fou raisonnable :
« Toi qui fais prendre à Part les traits de la nature,
Qui, par une heureuse imposture,
Caches toujours l'actrice, et montres tour à tour,
Avec une aimable franchise,
Ou Babety ou RosCy ou Louise !
Sous des traits enchanteurs, embellis par l'Amour,
Tu nous séduis, tu nous maîtrises ;
Tu fais de nous ce que tu veux.
Tu peins l'Amour ? nous ressentons ses flammes ;
Le plaisir brille dans tes yeux ?
11 passe aussitôt dans nos âmes ;
A la terreur on te voit succomber ?
Chacun partage tes alarmes ;
Et, lorsque tu verses des larmes,
Oest au fond de nos caurs qu'elles viennent tomber!
Nous avons cru devoir, en t'offrant nos hommages ,
Mêler à ces lauriers des myrtes et des fleurs :
La gloire, en te comblant de toutes ses faveurs,
Ne saurait à l'amour ôter ses avantages ;
Et lorsque tes talents gagnent tous les suffrages,
Tes charmes gagnent tous les cœurs. »
(i) Pet, chron.y 16 novembre 1784. (Rev. du Lyon., 2^ série, t. V).
— Tabl. chron»
(2)L. Rosalie Dugazon, née à Berlin en 1755, mourut à Paris en
1821.
70 LE THÉÂTRE A LYON
L'actrice voulait s'opposer à la lecture de ces vers ; mais
le public les demanda à grands cris, et ils furent lus au
milieu des applaudissements de toute la salle. Cet incident
détermina le prévôt des marchands (i)à publier une ordon-
nance, datée du 12 mai 1785, sur la police des spectacles,
dont voici la teneur :
« L'abus qu'on paraît vouloir renouveler, — disait-il, — en jetant sur
le théâtre des couronnes et des bouquets avec des vers à la louange des
acteurs ou actrices, ne saurait être toléré. Cette manière de leur témoi-
gner le contentement que Ton ressent peut, en effet, entraîner de véri-
tables inconvénients ; chacun voulant s'en servir pour faire connaître
son opinion, il arriverait que le spectacle serait interrompu et troublé ;
il arriverait peut-être aussi que ce moyeu , qui parait innocent
à celui qui ne l'emploie qu'à la louange, serait également mis en usage
par l'ennemi de quelque sujet pour le mortifier aux yeux du public,
quoiqu'il ne lui fût pas désagréable. Une pareille licence, si elle avait
lieu, ne pourrait qu'exciter du désordre, fomenter des cabales, et
arrêter les progrès de quelques sujets du théâtre, dont les talents
n'auraient besoin que d'être encouragés.
« Par ces considérations, et après avoir ouï Marie-Pierre Prost,
chevalier, avocat et procureur général de cette ville et communauté,
nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit ;
if Art. I. — Défendons très-expressément, à peine de prison et d'inter-
diction d'entrer aux spectacles, à toutes personnes, de quelque quaHté
et condition qu'elles soient, de jeter ni faire jeter ^ sous quelque prétexte
que ce puisse être, sur h théâtre , aucuns papiers attachés à des couronnes,
bouquets, rubans, ou autrement.
« Art. IL — Si, malgré toute la vigilance qui sera employée, l'on ne
peut découvrir les personnes qui auraient jeté aucuns papiers sur le
théâtre, ils seront aussitôt ramassés pour être remis à M. le comman-
dant, et, dans aucuns cas, ils ne pourront être lus.
(' Art. IIL — Défendons, sous peine d'interdiction de l'entrée aux
spectacles, de demander la lecture des papiers qui auraient été jetés sur
le théâtre.
« Art. IV. — Ordonnons que tous particuliers qui auraient été
(i) Tolozan de Monifort, qui succéda, en -784, à Antoine Fay de
Saihonav.
LE THEATRE A LYON 7I
arrêtés pour avoir occasionné du tumulte, afin d'obtenir la lecture
desdits papiers, seront emprisonnés et punis comme perturbateurs du
repos public (i). »
L*été ramena les étoiles parisiennes qui avaient repris
leurs tournées en province. M"^ Saint-Huberti s'atrêta à
Lyon au mois de juin et, en revenant du Midi, du 28 juillet
au i**^ août; elle chanta dzns Iphigénie en Tauridcy dans
AlcesU et Didon : « Il faudrait être sublime comme elle, » di-
sait {^Journal de Lyon, « pour bien exprimer l'effet de ses
mouvements. » Du 5 au 13 juillet, on joua le Mariage de
Figaro^ qui n'avait pas encore été représenté à Lyon. Le
18, M"*" Sainval la cadette reparut dans y4/z/r^; elle joua
les jours suivants les rôles à' Electre ^ Zénobie, Chiméne,
Ariane et Bérénice (2). Le célèbre Volange, acteur du
Théâtre des Boulevards, plus connu sous le nom de Janoty
amusait le parterre par ses saillies. Enfin, la troupe lyon-
naise avait alors dans ses rangs un jeune homme qui devait,
comme CoUot d'Herbois, jouer plus tard son rôle dans le
drame révolutionnaire.
Fabre d'Eglantine (3), sans fortune, livré de bonne
heure à lui-même, n^ayant obtenu dans la carrière poéti-
que qu'un prix aux Jeux Floraux de Toulouse, s'était fait
acteur et avait paru sur les théâtres de Besançon, de Namur
et de Genève; delà, il était venu à Lyon où le public l'a-
vait mal accueilli. Plein d'orgueil, se sentant l'étoffe d'un
auteur dramatique, Fabre résolut bientôt de se rendre à
Paris pour y trouver la justification jde son talent. Mais,
( r ) Journal de Lyon, 178$.
(2) Journal de Lyon, 178$.
(3) Fabre (Philippc-François-Nazaire), né à Limoux dans le Langue-
doc, le 28 décembre 1755, fut exécuté à Paris, le 5 avril 1794.
72 LE THÉÂTRE A LYON
»
avant de partir, il voulut essayef sur notre scène une de
ses pièces, dont il annonça lui-même la représentation en
ces termes :
« Puisque vous aimez à me siffler, je vous annonce que Ton va vous
donner une tragédie de ma façon, intitulée Vesta^ et que vous pourrez
la siffler à votre aise. »
Non content de cette effronterie, le venimeux acteur se
vengea des sifflets par une satire d'un goût médiocre, où il
disait :
« Des remparts lyonnais me préservent les dieux !...
Le multiple Barrême, Apollon de ces lieux,
Y bouche les esprits, de son livre bizarre.
Et d'un frais jouvenceau compose un vieil avare.
Contraint par son talent, si quelque jeune esprit
Y goûte de Boileau le poétique écrit,
Plutus le déshérite, et-, grâce à Tanathème,
Le génie est un vice et la rime un blasphème (i), »
Ce fut en 1785 que Fabre d'Eglantine se rendit à Paris.
Deux ans après, il fit jouer au Théâtre Italien son premier
ouvrage, Les Gens de Lettres ou le Provincial à Paris, comé-
die en 5 actes et en vers, qui eut une chute de scandale.
Cependant, la situation du Théâtre restait compromise.
Dans une lettre aux abonnés, M"*^ Destouches exposa que
la direction payait 20,000 livres à la ville et donnait un
spectacle tous les jours de Tannée, tandis qu'à l'arrivée de
M""*^ Lobreau, la salle ne s'ouvrait que quatre fois par se-
maine. Autrefois, les premiers acteurs de Paris venaient
(i) Jourimî anecdoiiqicc, 3e année, le»" semestre, p. 264. — Mél. hiog.
et lut, par Bréghot du Lut, Lyon, 182S. — Bréghot du Lut répète à
son tour, avec aussi peu de fondement que les autres biographes, que
Fabrç vint. « partager avec CoUot à'Herhois les sifflets des habitants. ?>
LE THEATRE A LYON
73
pour dix louis ou pour cent écus par représentation : ils
exigeaient maintenant cinq cents livres. Les recettes des
speaacles s'élevaient en moyenne à cent quinze ou cent
vingt mille livres par an ; les abonnements étaient trop
nombreux et les prix trop modérés. Les entrées de faveur
étaient extrêmement nombreuses ; tout ce qui était titré ou
gradé, dans l'armée surtout, réclamait sans cesse ce privilège
de nature à ruiner la caisse. On dînait tout de bon sur la
scène, et les comptes de dépenses portaient à cet article
le chiffre assez respectable de vingt livres par mois (i). Le
Théâtre ne recevait que le quart des recettes des spectacles
de passage. Le Concert n'était pas joint à la direction du
Théâtre; la réunion serait favorable aux deux entreprises...
Enfin, M"*" Destouches annonçait formellement qu'elle ne
pourrait plus payer les acteurs (2) !...
Les actionnaires répondirent en parlant de gaspillage; ils
découvrirent que la direction était de plus de 300,000 livres
au-dessous de ses affaires, et ils prétendirent que les frais
nécessaires pour avoir de bonnes troupes à Lyon ne de-
vaient pas dépasser 114,500 livres par an (3). Quelques-
uns d'entre eux en vinrent à des poursuites^ et, au mois
(i) N*en déplaise à M. Henri Chabrillat, rimpresarioder-^^wwwo/r,
et à M. Emile Zola, Vînventeur du naturalisme.
(2) Lettre de W^^ Destouches aux abonnés, ic août 1785. Arch.
manusc. de la Ville, passim.
(3) Suivant eux, ces frais devaient se répartir ainsi :
lers rôles de comédiei 4,000 livres
— d'opéra comique 3,000 —
Corps de ballet 18,600 —
Orchestre 10,400 —
Employés 33»5oo —
Directeur 5,000 —
Total 114,500 livres.
7l LE THÉÂTRE A LYON
d'août 1785, M"'' Destouches fiit obligée de se retirer. Les
acteurs reconnurent les préposés nommés par M. Tolozan
de Montfort : M"* Valville, les sieurs Restier, Saint-Aubin,
Chevalier et Saint-Fard ; ils se mirent en société pour con-
tinuer les représentations.
A la nouvelle de son remplacement, l'ancienne direc-
trice se livra avec emportement à son dépit, — dont M.
Tolozan de Montfort et le duc de Villeroy eurent le temps
de s'entretenir dans une minutieuse correspondance ; —
puis, elle partit pour Paris, où son associé, Hachette de
Villiers, l'avait précédée depuis longtemps (i). La ville fit
remise au Théâtre de l'arriéré du loyer, et l'année s'acheva
sans secousses avec une troupe où figuraient M^^'Dugazon,
Fleury, de l'Opéra, et Solié, qui reçut, le 18 mars 1786, un
ordre de début pour la Comédie Italienne (2).
On a vu que le duc de Villeroy attachait une grande im-
portance à soft droit presque royal de concéder le privilège
du Théâtre de Lyon. La lettre suivante, qui lui fut adressée
le 14 février 1786, par M. Tolozan de Montfort, s'explique
nettement à cet égard :
« Pour tirer, — dit-il, — un parti vraimenl utile de Tentreprise des
spectacles et la conduire à la satisfaction du public, la direction doit
être confiée, non pas à un danseur, à un comédien, à un musicien,
mais à des personnes honnêtes et intelligentes, réunissant les connaissances des
diverses parties du théâtre^ pour ne pas sacrifier l'une à Tautre et être au
contraire toujours en état d'offrir un spectacle varié, et que ces per-
sonnes n'eussent à s'occuper, que de la régie qu'on leur confierait,
parce qu'elle entraîne avec elle une infinité de détails assez importants
pour employer tous leurs soins, toute leur autorité... »
(i) Arch. manusc. de la Ville. Théâtre, passim.
(2) J.-P. Soulier, dit Solié, Nîmes, 1755-1812. Archiv. mss., lettre
de M. Terray.
LE THEATRE A LYON 7)
Rosambert parut remplir ces conditions et fut chargé, au
mois d'avril, de la direction pour Tannée théâtrale 1786-
1787 (i). Un seul fait relatif à notre scène mérite d'être
signalé pendant cet espace de temps. Piccini, retournant à
Naples en 1787, s'arrêta à Lyon, assista à une représenta-
tion de Didon et fut au Théâtre l'objet* d'une brillante ova-
tion.
Au moment où Rosambert était nommé directeur, le
gouvernement autorisait la création d'un Lycée ou Salon des
Arts y dont l'ouverture eut lieu le 20 avril 1786, à quatre
heures du soir, dans la grande salle du Concert, place des
Cordeliers. Les concerts furent réorganisés sous la direction
de Guillon de Loise^ qui y fit exécuter des morceaux de
son opéra de Lausus et Lydie (2) ; M"^ Catelin y fît enten-
dre les « ariettes de bravoure » de M'^* Saint-Huberti et, le
5 décembre suivant, on y donna la i*"^ représentation de
Nina^ comédie mêlée de chants, de MarsoUier des Vive-
tières, musique de Dalayrac.
Le Lycée ne se borna pas à donner des concerts : il
voulut prendre deç airs d'université au petit pied. Des
cours de sciences furent inaugurés : celui de Botanique
et de Médecine domestique^ professé par Gilibert, ancien pro-
fesseur à l'Université de Wilna et médecin du roi de Po-
logne, eut lieu deux fois par semaine; le P. Estournel, mi-
nime, professeur de Mathématiques ^ et Bonnefoy, professeur
de Physique expérimentale^ se partagèrent les autres jours de
la semaine; des cours d'anglais et d'italien furent ajoutés
(i) Archives mss.
(2) Guillon de Loise, poète et musicien, composa les paroles et la
musique de Lausus et Lydie, opéra en 3 actes, qui fut représenté en
1787 aa Théâtre de Lyon. — V. Alman. de Lyon pour Van VI, p. 1 16.
Delandine, Catal, Théâtre.
76 LE THÉÂTRE A LYON
plus tard. Les lectures commençaient à cinq heures du soir,
et la même salle s'ouvrait à six heures pour les concerts.
Le Lycée était aussi une sorte de musée ou d'exposition
permanente de tableaux, de dessins^ de machines et d'é-
toffes. Cette excellente institution avait pour complément
un cabinet de lecture, où les associés trouvaient les nou*
veautés littéraires (i).
Au mois d'avril 1787, on eut à pourvoir au remplace-
ment de Rosambert qui, pendant son administration, n'a-
vait pas donné précisément des preuves de génie.
Collot d'Herbois, qu'on a vu jusqulci premier acteur
dramatique, était parvenu à s'introduire dans la meilleure
société par son esprit, par son prestige de bon acteur, par
un certain art de tourner un couplet ou de lancer un ma-
drigal.
Sa situation d'homme marié et la modération apparente
de son caractère achevèrent de gagner les suffrages et le fi-
rent désigner pour la direction, avec un traitement fixe de
6,000 livres, non compris son intérêt dans l'entreprise et
un logement au Théâtre (2).
Dès le début de son administration, Collot d'Herbois
prit à cœur ses fonctions et s'en acquitta avec un zèle de
néophyte. Comme il écrivait facilement, il écrivait beau-
coup : tantôt au secrétaire du commandement pour procu-
rer des loges à de grands personnages, tantôt à des direc-
(i) Journal de Lyon, années 1786 et suiv., passim.
(2) Le privilège nominal des spectacles de Lyon appartenait à un
sieur René Lecomte, « bourgeois de Paris, » comme il est dit dans un
acte d'engagement, in -40, aux armes du duc de Villeroy, qui est con-
servé aux archives de la Ville. Collot-d'Herbois y est désigné comme
« directeur préposé et intéressé' dans ladite ^itr éprise^ faisant tant en son nom
qu'en celui de la datne d'Herbois y son épouse (29 août 1787)... » L«s blancs
sont remplis de la main de CoUot-d'Hçrbois lui-mçme.
LE THÉÂTRE A LYON 77
teurs de troupes foraines pour les autoriser à donner des
représentations (i). T^uis, le directeur du spectacle était
tenu de présenter^ tous les lundis, au commandant de la
ville le répertoire des pièces qu^on devait jouer pendant la
semaine, et de mettre cet officier au courant de ce qui se
passait au Théâtre. Aussi, une active correspondance fut-
elle échangée entre CoUot-d'Herbois et M. Tolozan de.
Montfort :
ft Nous avons beaucoup de malades et d'embarras... » écrivait le di-
directeur (8 mai 1787). « Le chapitre des accidents se multiplie de ma-
nière à me désespérer. Voilà plus d'un mois que chaque jour amène un
événement fâcheux, et cela deux minutes avant de faire l'annonce....
(14 juin). »
L'acteur Lécuyer s^étaît enfui à Mâcon ; le directeur de-
mandait les ordres nécessaires pour le faire ramener à Lyon
en vertu de son engagement (5 décembre). Il entrait dans
les plus menus détails de coulisses, une contestation entre
M"'' Sainte-Marie et M"* Olier, l'opportunité de remplacer
pour un rôle telle actrice par telle autre (23 octobre)...
Voici, à titre de curiosité, la plus intéressante des lettres
de Collot-d'Herbois qui ont été conservées aux archives de-
la ville :
(i) Archiv. mss., 8 mai 1787 : Lettre au secrétaire du commande-
ment, pour obtenir une loge de première, pendant quelques jours, pour
le duc de Sorentino et une dame du même rang. — Même date : Let-
tre à M. de Saint-Amand, directeur du spectacle d'Auxerre, pour Tau--
toriser à faire jouer une troupe d'enfants dans la salle 4' Arnaud, rue
des Deux- Angles, à Saint- Clair,
Le directeur « des spectacles » donnait et retirait les permissions aux
directeurs des spectacles forains et de variétés, et touchait une rétribu-
tion sur leurs recettes.
78 LE THÉÂTRE A LYON
Cl Lyon', le 31 décembre 1787^
« Monsieur,
« J'ai fait annoncer hier, pour aujourd'huy, le Mariage d* Antonio^
Messieurs Saint-Robert, Simon, Guilleminot, Lamanière (i), et ma-
dame Girardin étant indisposés, c'est le seul opéra que je pouvois don-
ner. Il ne Ta pas été depuis longtemps, il fait plaisir, et on y entend
madame Darboville. »
« Je consultai, avant d'annoncer, Mil« Sainte-Marie ; elle parut con-
tente de jouer le rôle d'Antonio, qui lui* fait honneur. »
« W^^ Sainte-Marie jouoit Nina et essuyât (sic) hier du désagrément
en sortant du Théâtre. Pendant son rôle, elle fit dire qu'elle ne joue-
roit pas aujourd'huy dans le Mariage d'Antonio annoncé ; elle m'envoya
chercher, après la pièce de Nina, pour me le répéter ; je vins dans sa
loge. »
« Elle étoit mécontente, chagrine; je la consolai. Elle étoit fatiguée;
je lui offris, de ma maison, tous les secours et tous les adoucissements
qui pouvoient lui être agréables ; mais j'insistai sur l'impossibilité de
changer le Mariage d' Antonio, Alors, furieuse et oubliant iouite honnê-
teté, elle me dit de sortir de sa loge ; j'en suis sorti. »
« Je ne demande pas. Monsieur, qu'elle soit punie de cette inso-
lence; il n'est pas dans mes principes de faire punir une femme pour une
offense personnelle ; je rougirois devant le public que cela pût arriver...
Mais^ si mademoiselle Sainte-Marie refuse de jouer Antonio, je la dé-
nonce pour que Tauthorité la ramène à ses devoirs. »
« Cependant, Monsieur, l'affront que j'ai reçu de cette demoiselle
m'a rappelé ce que je dois au titre de directeur, à mon caractère partie
culier et à ma dignité de galant Jjomme, que rien n*a flétri jusqu'à ce mo-
ment (2). »
V Depuis que je suis chargé de la direction des speaacle^, aucune
attention, aucuns égards ne m'ont coûté pour maintenir un certain
équilibre dans Umts les caractères qui le composent. Au milieu d'un
(i) Lamanière, musicien, compositeur^ de l'Académie de Lyon,
mort le 28 juin 1808. V. Bulletin de Lyon du 2 juil. suiv.
(2) Est-ce bien sûr ? Voilà une affirmation qui est contredite par
M°*«. Rolland dans le passage cité plus haut. Malgré les rancunes per^
sonnelles que cette femme illustre avait gardées contre le compétiteur
de son mari, il serait étrange qu'elle eût inventé la condamnation dont
elle parle.
LE THÉÂTRE A LYON 79
nombre infini d'accidents, de contrariétés, rien ne m*a rebuté. J*ai
toujours sacrifié avec plaisir ma tranquillité pour assurer celle des au-
tres. Mais, cettt march, ]e le sens, n'est pas celle que je dévots tenir ; être
mis par une pensionnaire hors d'une loge est un avertissement bien cruel, »
a Je me propose donc. Monsieur, et nui santé m'en fait une loi, de
charger le régisseur de tout ce qui concerne l'intérieur du Théâtre, lui
faisant connoilre ce qu'il devra demander à chacun suivant ses engage-
ments (i). Ce sera mon devoir, Monsieur, de vous informer des infrac-
tions, et, malheureusement, j'aurai peut-être trop souvent lieu de vous
importuner. »
« Un mal de gorge violent, causé par des fatigues si excessives, de-
puis huit jours, que je n'ay pu trouver un seul instant pour ine recom-
fnander à vos bontés, causé encor par une insomnie continuelle, me
force aujourd'huy à garder la chambre ; et je n'ay pu, autrement que
par écrit, avoir l'honneur de vous informer de l'état critique où se
trouve le spectacle, dans lequel votre haute prudence. Monsieur, peut
seule ramener l'ordre convenable. »
« J'ai l'honneur d'être, etc. « D'Herbois. »
« P.- S. — En fermant cette lettre, je reçois un billet de mademoi-
selle Olier, que j'ay l'honneur de joindre ici (2). Elle refuse de jouer,
parce qu'elle a mal à la tête. Il faut observer que Mii« Olier n'a pas
joué depuis mercredi dernier, et que, depuis ce temps, elle nous a fait
connoître à tous, au Théâtre, par sa vivacité et sa gayeté, qu'elle étoit
très-bien portante. Je crois pouvoir vous assurer que ceci est un ca-
price : elle étoit hier au Théâtre, à l'annonce. Elle a de l'humeur,
parce que, pendant la maladie de madame Darboville, on ne lui a pas
fait jouer beaucoup de rôles qu'elle demandoit, mais que, pour des mo-
tifs raisonnables et particuliers, on ne pouvoit lui donner. Cependant,
j'ay eu l'attention de lui faire jouer la Servante Maîtresse, dont je pou-
vois disposer. Le spectacle de ce soir est peu fatiguait, et si on ne joue
pas le Mariage d'Antonio, il faudra fermer la porte ; on ne peut substi-
tuer aucun autre opéra. »
(i) Collot-d'HerbcMS rédigea en ce sens deux projets d*ordonnances,
dont la substance sera mentionnée plus loin.
(2) Voici ce billet dans sa forme naïve : — a Je préviens la direc-
tion qui mest impossible de jouer aujourd'huy, étant indisposée des co-
liques d'estomac et d'un grand mal de tête. On peut être persuadé de
la peine que cela me fait. — Olier. »
L'artiste récalcitrante tenait l'emploi de seconde amoureuse.
8o LE THEATRE A LYON
Quelles que fussent les blessures que son amour-propre
eût à subir, l'attitude que prit le nouveau directeur vis-à«-
vis de l'autorité plut infiniment au duc de Villeroy, qui en
témoigna hautement sa satisfaction dans une lettre adressée
de Paris aux prévôts des marchands, le 25 octobre 1787.
Il louait « le zèle et Thonnêteté de la nouvelle compagnie, »
qui n'avait mis jusqu'alors « aucune borne à ses sacrifices cl à
ses efforts pour satisfaire le public... » et il ajoutait : « En
mon particulier, Messieurs, je serai très-sensible à tout ce que
vous voudrez bien faire pour l'avantage de cette compa-
gnie (i). » A l'égard du public, Collot-d'Herbois usait
aussi de procédés courtois; pendant sa direction, ilfit preuve,
en diverses circonstances^ d'un esprit conciliant, et les
personnes qui avaient des relations avec lui n'eurent ja-
mais qu'à s'en féliciter (2).',
Ainsi qu'il l'avait annoncé au commandant de la ville, il
s'occupa aussitôt de rédiger deux projets d'ordonnances
qui reçurent l'approbation de cet officier. L'un, qui con-
cernait la Police intérieure du Théâtre, fixait le lever du ri-
deau à cinq heures et demie précises, défendait l'entrée du
spectacle aux enfants, à cause des cohues, aux chiens, à
cause du bruit qu'ils font, aux valets et aux domestiques^
parce que les spectateurs continuaient, malgré Tinterdiction
(t) Arch. mss. de la ville de Lyon.
{2) Dans une lettre écrite au prévôt des marchands, un M. , Rivât,
notaire à Lyon, qui avait eu à se plaindre de quelques employés du
Théâtre, s'exprime en ces termes : — « J'ai reçu hier une lettre de
M. d'Herbois, remplie d'excuses sur le procédé de ses portiers. Peu
après, je l'ai rencontré et je ne puis rien ajouter à son honnêteté. Je lui ai
annoncé que je ne pousserois pas plus loin la vengeance (ce sentiment
n'ayant jamais été le mien) ; que, de votre consentement, je dispensois
ses portiers de la prison ; qu'en un mot, oubliant l'injure, je pardonnois
l'offense (11 mars 1788). »
LE THÉÂTRE A LYON 8l
formelle, à amener leurs gens, les actrices leurs coiffeurs et
leurs tailleurs^ et que tout ce monde grouillant dans les
vestibules pénétrait jusque dans les coulisses, qui ne de-
vaient être abordées que par les parents des acteurs.
L'autre projet, qui traitait des Répertoires y des répétitions et
des représentations y concernait surtout les acteurs : « Ils ne
pourront, disait l'article 9, rien changer ni ajouter à leurs
rôles, complimenter le public, lui adresser la parole, ni
lire aucun écrit jeté sur le théâtre, sans notre permission
expresse (i). »
Ces mesures d'ordre une fois prises, le directeur s'occupa
d'une autre amélioration qui, dans sa pensée, devait aug-
menter ses bénéfices, et qui avait été jusqu'alors obstiné-
ment repoussée. Grâce à son influence, il obtint de
construire, à ses frais, un quatrième rang de loges dans la
salle de spectacle, par suite d'un traité passé avec le consu-
lat le 21 février 1788, et ce travail fut exécuté, pendant la
quinzaine de Pâques, par Morand, architecte du Théâtre.
Mais une ordonnance royale du 27 mars suivant fixa le prix
des places à 2 livres pour les deuxièmes loges, i livre 10
sols pour les troisièmes et i livre pour les quatrièmes, de
sorte que cette innovation ne contribua guère à l'augmen-
tation des recettes (2).
L'année théâtrale reprit son cours avec le printemps. La
troupe avait fait de nouvelles recrues, parmi lesquelles il
faut citer Joly et Dubus, jeunes premiers rôles de comédie,
^me d'Ocquerre, qui jouait les reines et les mères nobles,
et M"* Feuchère, les forts premiers rôles et les coquettes.
Adélaïde-Thérèse Feuchère était une élève de Mole,
(i) Ces deux documents sont écrits en entier et signés de la main
de CoUot-d'Herbois. — V. Arch. mss. de la Ville.
(2) Arch. mss. de la Ville, passim.
6
82 LE THÉÂTRE A LYON
qui l'avait fait débuter, en 1783, à la Comédie-Française, à
Tâge de quinze ans. Les critiques s'étaient plu à reconnaître
le naturel, la vivacité et la grâce de la jeune et séduisante
actrice. Mais un léger défaut de prononciation, qui était
sans doute un charme pour ses admirateurs, l'empêcha
d'entrer à la Comédie. Elle accepta un engagement à
Stockholm dont elle fit pendant quatre ans « les délices, »
jusqu'au jour où le Théâtre de Lyon se l'attacha (i).
VI.
Grimod de La Reynière. — Lettre à Mercier ou Tableau de Lyon en iy88.
— Les femmes, la société, le luxe et la table. — M»e Dugazon et
rhôtel de Milan. — M^e Feuchère-Grimod. — Grétry à Lyon. —
CoUot-d'Herbois fut-il sifflé? — Contradiction de La Reynière. —
Les comédiens sous Tancien régime. — Le théâtre révolutionnaire.
— Les Céîestins, — Dans l'avenir.
Au mois de juillet 1788, une chaise de poste amenait à
Lyon un étrange personnage, coiflfé d'un énorme toupet (2),
le nez recourbé en bec de perroquet et l'un des bras ter-
miné par un moignon et une sorte de patte d'oie dissimulée
par un gant à ressort. C'était Balthazar Grimod de La Rey-
(i) Arch. mss. de la Ville. — V. Grimod de La Reynière et son groupe,
par M. Gustave Desnoiresterres, i vol. in-i8, Didier.
(2) Une chanson à son adresse disait :
Qiangez-moi cette tête,
Cette grimaude tête,
Changez-moi cette tête,
Tête de hérisson...
LE THÉÂTRE A LYON 83
nière (i), le plus fameux des originaux et des mystifica-
teurs de son temps. Fils d'un fermier général de Paris, —
qui était originaire de Lyon et qui avait épousé M"* de Ja-
rente, sœur de Malesherbes et nièce de l'évêque d'Or-
léans, — Grimod assez abandonné à lui-même dans son
enfance, avait été élevé par M"*' Quinault la cadette, « fille
de beaucoup d'esprit qui joignait un excellent cœur à un
très-grand usage du monde, » et qui avait passé sa vie
« dans la meilleure compagnie de la cour et de la ville,
avec les hommes de lettres les plus célèbres du siècle. »
Une autre gloire de la scène française, M"^ Luzy, avait pris
l'enfant sur ses genoux et s'était amusée de ses saillies : oïl
devine quelle influence avaient exercée sur le jeune homme
l'institutrice par occasion et la célèbre actrice lyonnaise. Jl
avait pris dans ces fréquentations d'artistes la passion du
théâtre et le goût de l'excentricité poussé jusqu'à l'invrai-
semblance ; si bien que le fermier général, fatigué de la
prodigalité de son fils et du scandale qu'il faisait autour de
son nom, avait fini par obtenir contre lui une lettre de ca-
chet, en vertu de laquelle le baron de Breteuil l'avait fait
séquester à l'abbaye de Domèvre, près de Nancy.
En 1776, après sa délivrance, Grimod était venu passer
six semaines à Lyon, où il avait « encore quelques parents
et beaucoup d'amis. » Voulant « profiter de son séjour dans
cttte ville céUbre^ipour payer un faible tribut de sensibilité à ses
aimables citoyens^ » il s'était mis à écrire divers morceaux de
(i) Alexandre-Balthazar-Laurent Grimod de La Reynière était né à
Paris le 20 novembre 1758 ; il mourut en 1838. — V. Grimod de La
Rfiynière et son groupeyipar M. Gustave Desnoiresterres, i vol. in-i8.
L*auteur de cet ouvrage a rais à profit une série de lettres dont la Revue
du Lyonnais a entrepris la publication en i855,50us le titre d^ Lettres
inédites de Grimod de la Reynière à un Lyonnais de ses amis. Ces lettres
sont fort longues et traitent des sujets les plus variés.
84 LE THÉÂTRE A L\ON
prose et de vers, parmi lesquels se trouvaient une épître
fort déclamatoire, « A Monsieur de la Rive^ pensionnaire du
roi y » que l'auteur prétendait
Trop chéri des mortels pour être aimé des dieux,
et une Lettre à Mercier^ auteur du Tableau de Paris, qui
« voulait savoir son sentiment sur la ville de Lyon. » Mais
ces fragments ne devaient être achevés et paraître que plus
tard, avec ses Idées sur les poètes dramatiques, sous le titre
de « Peu de chose, hommage à l'Académie de Lyon (i). »
Les relations que La Reynière eut à Lyon avec CoUot-
d'Herbois , qu'il cite dans sa Lettre à Mercier comme
étant directeur du Théâtre, ne purent être antérieures à l'an-
née 1788 (2).
Avocat au parlement de Paris, Grimod avait quitté le pa-
lais peu de temps après ses débuts, par suite d'un amour
contrarié pour une cousine qui fut depuis M™® Mitoire, et
s'était jeté dans la bohème Uttéraire. Grand-prêtre d'une as-
sociation gastronomique, connue sous le nom de Déjeuners
philosophiques y dont il avait été l'organisateur et où Mercier
et Rétif de la Bretonne coudoyaient des écrivains comme
Andrieux et Beaumarchais, des poètes comme Fontanes et
(i) Peu de chosôy hommage à l'Académie de Lyon, par Grimod de La
Reynière, 1788; Neuchâtel et Paris, broch. in-80, 64 p. L'auteur dit
dans sa préface : « Cette ville, par les honneurs qu'elle rend aux talens
dans tous les genres, a toujours inspiré aux poètes les sentiraens néces-
saires pour les bien célébrer. >»
(2) M. G. Desnoiresterres ignore que CoUot-d'Herbois ne fut direc-
teur du théâtre que depuis 1787, lorsqu'il dit, dans son livre si cons-
ciencieux, que Grimod, pendant son séjour à Lyon en 1776, écrivit la
Lettre à Mercier et se lia avec Collot-d'Herbois.
V
l
LE THÉÂTRE A LYON 8$
Joseph Chénier (i), notre excentrique s^était mêlé de plus
en plus au monde des coulisses, et avait tenu la férule du
critique dans la Lorgnette philosophique et dans ajournai des
théâtres. Il passait pour un des aristarques les plus écoutés,
lorsque, à Tépoque à laquelle nous sommes arrivés, il lui
prit fantaisie de venir créer à Lyon une maison de com-
merce (2).
On vit, en effets s'établir dans la rue Mercière une sorte
de bazar où Ton trouvait de l'épicerie, de la droguerie et
même une fabrique de broderies en tous genres y avec cette
enseigne :
AUX MAGASINS DE MONTPELLIER
Grimod et O.
Le négociant improvisé avait trente ans. Subissait-il une
vocation tardive et irrésistible ? Cédait-il à quelque attrac-
tion d'un autre genre ? Suivait-il, comme le suppose un spi-
rituel écrivain, M. Ch. Monselet, « l'exemple recommandé
par Sedaine dans son personnage àuPhilosophe sans le savoir yCt
négociant gentilhomme, qui enfouit ses titres dans un tiroir
(i) Le fameux festin donné le i*»^ février 1783, en l'honneur de la
mort de M^^e Quinault, fut un mélange inouï de cérémonies funéraires
et de bouffonneries. Chaque invité reçut une lettre commençant
ainsi :
tt Vous êtes prié d'assister au convoi et enterrement d'un gueuleton qui
sera donné par Messire Âlexandre-Balthazar-Laurent Grimod de La
Reynière, écuyer, avocat au Parlement, en sa maison àts Chanips-
Elysées... »
La salle du festin était tendue de noir et chaque convive avait un
cercueil derrière lui. Cette lugubre parodie fit tant de bruit, qu'on en
donna, le 12 février suivant, une répétition à laquelle, dit-on, de grands
personnages assistèrent incognito.
(2) Ce fut à Lyon, en novembre 1789, que Grimod apprit la révo-
cation de sa lettre de cachet.
86 LE THÉÂTRE A LYON
jusqu'au jour où, par son travail, il pourra leur rendre leur
premier lustre (i) ? Etait-ce de la sagesse ou un regain d'ex-
centricité, qui faisait du viveur parisien un marchand de
denrées coloniales? La réponse serait difficile à faire. Il
vaut mieux se reporter à ce que La Reynière écrivait au
dramaturge Mercier, « ce philosophe courageux et sensible
qui avait peint avec tant de grâce et d'énergie les travers et
les ridicules » parisiens. Cette lettre, qui était destinée à
faire le pendant du Tableau de PariSy pourrait s'intituler à
son tour : Tableau de Lyon en 1788 (2).
L'enthousiaste auteur pense de notre cité « ce qu un amant
pense de sa maîtresse... » Il vante « l'agrément de la ville,
la beauté de ses monuments, l'étendue de sqs superbes quais,
la propreté de ses rues, l'excellente administration de ses
hôpitaux, l'ordre admirable qui règne dans sa police » :
« Les rues sont aussi sûres la nuit que le jour; et, quoique le nom-
bre des préposés à la sûreté publique soit infiniment limité, les désor-
dres y sont extrêmement rares pour une population qui excède 200,000
habitants. Les marchés sont propres et bien fournis, et de sages lois em-
pêchent les monopoleurs d'affamer, par une activité coupable, le
citoyen pauvre qui mesure sa subsistance au produit de son travail... »
« Cette ville est tout entière au commerce, et c'est peut-être à l'acti-
vité qu'il commande qu'elle doit ses vertus.... Si les fortunes y sont
moins excessives (qu'à Paris), les besoins y sont moins impérieux... »
« De cette activité qui se porte à tous les endroits de la ville, il ré-
sulte un tableau fait pour intéresser l'observateur. A Paris, on court, on
se presse, parce qu'on y est oisif. Ici, l'on marche posément, parce que
l'on y est occupé. Le négociant, le marchand, l'artisan, l'ouvrier, tous
songent à leurs affaires en les faisant. Tous portent sur leur visage
l'empreinte de la réflexion, et l'on voit que si leur intérêt les occupe, cet
intérêt n'est pas fondé sur le malheur des autres. Le commerçant doit ai-
mer sa patrie, le rentier n^aime que lui-même, »
(i) Gastronomie, par M. Charles Monselet, i vol. in- 18.
(2) C'est ce qu'a fait Léon Boitel en rééditant cette pièce curieuse en
184} (tirée à 100 exemplaires ia-S®,)
LE THÉÂTRE A LYON 87
Serait-ce par patriotisme que Grimod avait dépouillé
le rentier pour revêtir le commerçant ?... Mais passons :
« V industrie est poussée ici au dernier degré de perfection, La main-
d'œuvre y est à bas prix, et Ton y exécute des ouvrages admirables avec
des sommes modiques. L'ouvrier se contente d'un léger bénéfice : le
fabricant aime mieux accroître modérément ses fonds par une prompte
circulation, que d'essayer de les doubler par les risques inséparables
d'une longue attente. Les affaires s'y font avec une promptitude, une
confiance, une bonne foi, que je n*ai vues qu'ici^ et qui peut-être ne pour-
raient exister ailleurs. Les faillites y sont très-rares, et plutôt l'effet du
malheur que l'ouvrage de la cupidité : enfin, l'on peut dire que si le
dieu du commerce a fondé à Lyon son principal temple, il n'y est honoré
que par des mains pures et n'y reçoit que des victimes sans taches» »
Malgré ce lyrisme au sujet du commerce, il ne faudrait
pas croire que le lettré, le voluptueux excentrique fût com-
plètement mort chez La Reynière au moment où il écrivait
ces lignes (i).
« Si nous passons à l'état des sciences, àts lettres et des arts, vous se-
rez surpris de leurs progrès au milieu des calculs de l'intérêt et des soins
du négoce. Le Lyonnais a naturellement de l'esprit ; il conçoit facile-
ment, il s'exprime avec grâce ; il a pour les étrangers cette affabilité qui
naît d'un cœur confiant et facile, et qu'il faut distinguer de cette poli-
tesse étudiée, masque d'une âme stérile qu'on donne et qu'on prend si
souvent à Paris pour un véritable intérêt... »
« (Cette ville) renferme un grand nombre de savans et de littérateurs
illustres... Les gens de lettres les plus célèbres de la capitale sont au
nombre de ses associés (2)^ et les noms des académiciens résidens prou-
vent combien l'on chérit et l'on cultive à Lyon les arts, les sciences et
la littérature. »
(i) Il venait d'ouvrir à Lyon une souscription pour la publication
d'un ouvrage qui devait avoir 4 vol. in-S», dits Considérations sur Vart
dramatique. Cet ouvrage n'a pas paru.
(2) Entre autres, Thomas, DuciS; l'abbé Morellet,
88 I^ THÉÂTRE A LYON
N'oublions pas que l'auteur dédiait sa brochure à TAca-
démie de Lyon. Mais il n'est pas moins galant pour 4es
Lyonnaises que pour la docte compagnie :
(( Le sexe est ici beaucoup plus "beau qu'à Paris, Les femmes y ont de la
fraîcheur, de la grâce et de cette finesse qui rend aimable jusqu'à la lai-
deur. Leurs yeux sont très-expressifs, leurs gestes animés, leur langage
doux et séduisant ; elles annoncent, dès leur plus tendre enfance, un
esprit très-actif... Elles paraissent aimer beaucoup la. parure, mais plus
encore la propreté ; c'est donc en elles moins un projet de séduire qu'un
besoin de plaire, qui relève le prix des autres vertus quand il est,comme
ici, contenu dans les bornes de la décence. Les ménages y sont très-
unis... »
Impossible d'être plus flatteur! Il est vrai que les femmes
de la province étaient mieux conservées que celles de Pa-
ris; elles menaient une vie moins dissipée et faisaient un
usage plus rare ou nul du rouge, qui gâtait vite le teint.
Q.uant aux vertus domestiques, a la corruption du siècle,
très-intense sur certains points, ne les avait pas ébranlées
aussi profondément qu'aujourd'hui dans la masse de la na-
tion, et l'on s'exposerait à commettre de singulières erreurs
en jugeant toute une époque d'après quelques scandales
éclatants du grand monde (i). » Les Lyonnaises, bien éle-
vées dans quelque couvent, comme le prieuré de Saint-
Benoît, situé quai Saint- Vincent, gardaient généralement le
respect du lien conjugal et le goût de la vie de famille.
« Dans les hôtels du quartier Bellecour, bâtis par une no-
blesse généralement récente, à l'aide des richesses amassées
aux générations précédentes dans le commerce, morcelés
et disparus aujourd'hui devant la cherté croissante des em-
(i) La vie de province au xvm« iiicU , par M. Anatok de Gallier,
page 48.
XE THÉÂTRE A LYOK %
placements et les grandes percées de l'édilitë du second
Empire, la vie mondaine était tempérée par une sévérité
quelque peu janséniste et une simplicité native de mœurs
à laquelle la dignité ne perdait rien (i). » Grimod cite avec
admiration M"^ Regny, femme du trésorier de la ville, qui
avait allaité ses huit enfants, ce qui était rare alors, et
poussé la charité jusqu'à céder sa maison et son propre lit à
de pauvres malades.
Pourtant, le luxe et le goût du plaisir faisaient « à Lyon^
comme ailleurs, de très-grands progrès. » Ils se donnaient
libre carrière sur le terrain neutre des réceptions oflSiçielles^
chez le commandant, chez le prévôt des marchands ou Tin-
tendant de la province (2). Mais c'était « plutôt un luxe de
commodité que d'ostentation. » Tout le monde était vêtu
« avec beaucoup d'élégance ; les classes même les moins
opulentes s'annonçaient par un extérieur très-séduisant (3).»
Les femmes avaient leurs coifieurs et leurs tailleurs attitrés;
Bordas, tailleur et magasinier du Théâtre, faisait « des corps.
li V anglaise pour les dames de distinction, » et avait mis à
la mode le corps à la grecque. Les fourrures étaient surtout
en grande vogue, et il était de bon ton d'arriver au specta-
cle vêtue des plus belles et des plus rares, et de les dé-
pouiller peu à peu pour en étaler les richesses (4).
(i) Za vU de province, p. 25.
(2) « A Toccasion de son entrée en charge, M. de La Verpillière
donna un magnifique bal costumé, où Ton avait adopté les modes delà
cour de Louis XIV et qui donna lieu à beaucoup dHntrigues et de riva'^
lités entre les belles dames appelées à y figurer. Tous les jours, il fai^
sait asseoir à sa table plus de cinquante personnes, avec la plus grande
chère du monde. » (La vie de province, p. 26)^
(3) LeUre à Mercier.
(4) « Dupré, natif de cette ville, élève du sieur Pilloir, habille coêf-
feur pour dames. » ^ « Le sieur Bordas, tailleur en chef de la Corné*
90 LE THÉÂTRE A LYON
Le gastronome émérite» le futur auteur de VAlmanach
des Gourmands ne pouvait oublier la table. C'est avec con-
viction qu'il poursuit :
« L'éclat de Ja garde-robe ne nuit point à la solidité de la cuisine. Les ta-
bles sont servies avec abondance et délicatesse, les maîtres en font les
honneurs avec plaisir, les femmes avec grâce ; et Ton voit, à la gaîté
qui y règne, que ce plaisir n'est point factice et que cette grâce n'est
pas étudiée. »
ff Le souper paraît être ici le repas le plus agréable ; toutes les affaires
étant finies avec le jour, chacun se livre plus volontiers à la joie de se
retrouver ensemble. D'ailleurs, la lumière inspire une certaine ivresse,
que le soleil le plus brillant ne produit jamais... J'ai assisté à quelques-
uns de ces soupers, et je vous avoue que je les préfère aux plus brillants
de la capitale. H y règne une aisance, une aménité, un ton de bonho-
mie qui n'exclut ni les grâces, ni la saillie, ni même l'épigranmie \
mais son tranchant est émoussé par la gaîté... »
die, loue tant pour les Bals du Théâtre que pour ceux de la Ville, de
très-beaux dominos et habits de caractère. Il vend des gants et des
masques ; on le trouvera tous les jours chez le sieur Gamler, près de la
Comédie, au Café d'Apollon {Affiches de Lyon^ 1 761 et 1763). »
La vogue de la martre zibeline, de l'hermine^ du petit gris, du loup
cervier, de la loutre, est indiquée dans les Etrennes fourrées dédiées aux
jeunes frileuses * (Genève, 1770). Voici de curieux détails sur les cos-
tumes d'hommes :
« Le sieur Rey, maître tailleur, fournit l'habit complet de velours
ras à 3 poils, doublé de soie, à 250 liv. ; Thabit de velours d la Reine,
doublé de soie, 165 liv.; le surtout complet de drap de Silésie^ doublé
en coton, 60 livres. L'habit de camelot poil, doublé de soie, â boutons
et jartières d'argent, 120 livres. L'habit de Péruvienne, complet, dou-
blé de soie, 1 30 liv.Le surtout de camelot mi-soie, complet, doublé en toile
de coton^ 53 liv.; le surtout complet de camelot écarlate, doublé de
toile blanche, 42 liv.; veste de cirsakas^ en dorure et nuances, doublée
en toile de coton, 30 livres ; veste de coton, en dorure et nuances, dou-
blée de toile, 12 liv.; redingote â VEcuyère, veste et culotte, de camelot
mi-soie, galonnées d'argent avec les jartières de même, 70 livres. —
Pour la livrée, surtout, veste et culotte de Maroc croisé, doublés de
tQile, sans les boutons, 38 \vn^ {Affiches de Lyon, 19 avri} 1761). ^
LE THÉÂTRE A LYON 9I
Il essaya même de renouveler à Lyon les fameuses aga-
pes parisiennes. A son arrivée, il était descendu à Y Hôtel de
Milan j « la meilleure auberge » de la ville ; là, avec quel-
ques amis, Grimod prolongeait « l'orgie souvent jusqu'au
jour » et trouvait moyen « sans vin, sans scandales, sans
femmes, de passer des nuits fort agréables. » Au nombre
des convives, il y avait « ce petit gueux d'abbé Barthélémy,
de Grenoble, » un original, auteur de la Grammaire des
dames et de la Cantatrice grammairienne^ qui était « charmant
à mystifier » et parfaitement à sa place dans ces soupers
moins attiques que divertissants. Quant au chevalier Aude,
ancien 3ecrétaire de BufFon, auteur de Cadet-Roussel et de
Madame Angot^ c'était un homme d'esprit, d'un commerce
agréable^ « doué d'une mémoire admirable, d'une sensibi-
lité exagérée, d'une vaste littérature et d'un goût assez dé-
licat. Il faisait le charme des conversations par sa gaîté, son
savoir, son imagination vive et poétique, et la variété de
ses connaissances; ^ malheureusement, « le goût de la
crapule avait tout étouffé dans son âme. »
La Reynière parle aussi d'un comte de L... qui avait été
élevé^ comme lui, sur les genoux de la Comédie-Française
et qu'il avait retrouvé à Lyon. On donna d'autres soupers à
la Croix de Saint-Louis : « Le petit abbé y était encore,
mais N. et le chevalier Aude n'y étaient plus. » Jacques
Pitt, docteur en médecine, plus tard rédacteur du Journal
de Lyon, les avait remplacés. « Les dames y étaient ad-
mises, les ris immodérés en étaient bannis, le ton était
moins brusque, plus décent. Mais on pouvait s'y amuser
encore (i). »
Grimod haïssait le jeu, « cette invention nie pour mettre
(i) Revue du Lyonnais^ icr mars 1856, t. xii, p. 250. (Lettrt de Gri-
mod de îaRiynihp à un Lyonnais d^ w amis^ B6:icrs, 26 août lyjj). —
93 LE THÉÂTRE A LYON
rhamme d'esprit de niveau avec les sots, ce puéril ou dangereux
emploi du temps^ qui fait perdre les plus belles heures du
jour à remuer de grossières images, ou qui mine en peu de
temps les fortunes les mieux établies. » Le jeu fut une des
plaies du xvm* siècle. A Lyon, les cartes avaient long-
temps tenu la première place dans les salons, chez le pré-
vôt des marchands lui-même (i), et des jeunes gens de fa-
mille s'étaient ruinés dans le meilleur monde. Mais cette
passion s'éteignît peu à peu. Lorsque Grimod écrivait, ce
n'était plus « qu'un usage auquel on n'osait pas encore se
soustraire » :
« On joue. — dit-il, — pour s'amuser; mais joue qui veut. Dans
une assemblée de quinze personnes, je n'ai vu que deux tapis verts, et
leurs acteurs même prenaient souvent part à la conversation. »
H n'était pas inutile de faire connaître les appréciations
du bienveillant critique sur la société lyonnaise au milieu
de laquelle il allait vivre. D'ailleurs, les citations qu'on vient
de lire peuvent servir de cadre à ce qu'il dit du théâtre de
Lyon.
« Le spectacle, — dit Grimod de La Reynière, — est ici
(à Lyon) le principal et presque le seul amusement ; c'est
le rendez-vous diurne de tous les gens occupés; c'est là
qu'ils viennent se délasser l'esprit et lier pour le soir quel-
Grimod de La Reynière d son groupe, par G. Desnoîresterres. — Jacques
Pitt, né à Montbrison vers 1746, mort à Lyon le 2 janvier 1803, de
l'Académie de Lyon.
(i) « Il dut y avoir hier à THôtel-de- Ville un petit trente et qua-
rante, à la suite du vingt-un. M. de la Verpillière a promis de faire ces-
ser tous ces jeux de hasard après le mardi gras ; mais il serait bien diffi-
cile de Tarrêter dans toute sa force. D'ailleurs, le profit des cartes est
trop considérable pour qu'on l'abandonne. (Lettre s. d.; écrite vers
1770, citée pgr M. A- dç Gallier dans la vie deprovince, p. 35). »
LE THÉÂTRE A LYON 93
ques soupers aimables. Ce spectacle présente un bon en-
semble ; mais vous savez que l'opéra comique a chassé
Melpomène et Thalie de presque tous les théâtres de pro-
vince. Le public, qui fait de la comédie plutôt une récréa-
tion qu'une étude (i)^ préfère une jolie ariette, bien chan-
tée, à une belle tirade, quelquefois mal rendue. Je suis trop,
poli pour décider y à Lyon, quil ait tout à fait tort ; mais je
gémirai avec vous sur ce goût exclusif, qui ne permet plus
aux sujets de se former, et qui amènera tôt ou tard la déca-
dence de l'art* »
On voit que l'homme de goût, le classique, qui avait été
presque bercé au bruit des hexamètres, qui allait publier, à
ce moment même, des Idées souvent neuves et parfoistrès-
fines sur nos grands poètes dramatiques (2), croyait devoir
s'élever, malgré tout le désir qu'il avait de rester indulgent,
contre les progrès de la littérature facile qui envahissait
déjà la scène. H achève ainsi :
« Afin de contenter tous les goûts, il a donc fallu faire
ici marcher de front les trois genres : la déclamation, le
chant et la chorégraphie . Ces deux dernières parties du spec-
tacle laissent peu de chose à désirer : la première oflFre
(i) Le Bulletin deLyon^ du 31 décembre 1806, dira du même public :
ce Le Lyonnais ne se hâte pas de prononcer ses jugements. Il n'est
point enthousiaste aveugle, ni prévenu ; il écoute, il examine ; mais
quand il a reconnu le mérite, il se plaît à lui rendre justice entière... »
On peut rapprocher de cette appréciation celle que Laf&tte a mise dans
la bouche de Fleury : « Le public de Lyon ne m'accueillit ni trop mal,
ni trop bien, en public qui attendait. Terrible parterre que celui de la se-
conde ville du royaume 1 » (V. plus haut, chap. IIL)
(2) Les Idées sur Corneille, Molière, Racine^ CrèbilUm^ Rtgnard et
Piron font partie du recueil publié sous le titre de Peu de chose. Elles
sont pleines d'aperçus nouveaux pour le temps où elles parurent, la
critique n'ayant pas encore reçu le développement qu'elle a pris de nos
jours. On ne les a jamais rééditées.
94 LE THÉÂTRE A LYON
plusieurs sujets remplis de zélé et â^ intelligence^ et auxquels il ne
manque que de bons conseils et plus d'encouragements pour déve-
lopper des talents trés-réels et faits pour honorer l'art drama-
tique.
« Le directeur, M. Collot-d'HerboiSy est voire ami; ce
mot renferme son éloge et me dispense de vous répéter
combien il est fait pour être celui de tous les gens de lettres, par
les qualités de son cœur et de son esprit. »
Voilà qui est charmant : pas une ombre au tableau ! Des
compliments à tout le monde. Il faut croire qu'ils étaient
mérités... Mais, d'où pouvait venir chez le critique cette
disposition à la bienveillance universelle? Il était sans doute
à ce moment psychologique où le bonheur intime déborde
et s'épanche au-dehors.
Lié avec le directeur et la plupart des artistes, Grimod
adressait une Epiire à Madame d'Ocqucrre (i) et des Stances
irrégulières à Madame Dugazon, qu'un « heureux hasard
avait placée dans un appartement voisin de celui qu'il oc-
cupait à VHôtel de Milan^ et qu'il avait entendu se plaindre
de la multitude des hommages » qu'elle recevait (2). C'est
-■ ■ ■ - - | , ■_ _ _ m iBMi
(i) Epître à Madame d'Ocquerre, première actrice du théâtre de Lyon>
par Grimod de La Reynière, 1788, feuille volante sans indication de
lieu et d'impression (mentionnée par M. G. Desnoiresterres, op. cit.)
(2) Voici les Stances à la Dugazon :
Charmante Dugazon, vous n*aimez point les vers.
Un éloge flatteur n*a plus rien qui vous touche ;
Et ce terrible arrêt, sorti de votre bouche.
Va la fermer à mille amans divers.
f approuve ce dégoût et surtout en province;
L'ennui vous fait gémir sous le poids des lauriers.
Et pour vous tous les jours V embarras n* est pas mince
De répondre à la voix de tant de chevaliers.
Hardis profanateurs du vrai culte des belles,
De leur stérile encens vous craignez la vapeur;
LE THÉÂTRE A LYON 9$
à ces vers que le chevalier Aude faisait allusion lorsqu'il
écrivait à l'auteur qu'il était :
Us ignorent, hélas ! dans leur sublime ardeur.
Que pour peindre Alexandre il fallait être Apelles.
Je n* imiterai point cette témérité.
A quoi bon vous conter que vous êtes jolie ?
Bonne? sensible? douce*? admirable? accomplie?
Cet éloge, en leurs vers si souvent répété^
Est-il plus amusant pour être mérité ?
Non^ non, tous ces discours n*ont rien qui persuade
Un talent trop réel pour se croire parfait ;
Et ces adulateurs, par leur jargon maussade»
Vous rendront fâcheuse et malade ,
Et vous feront d'ici déserter tout à fait.
Pour moi qui n'ai jamais soupiré pour vos charmes,
Dont /'insensible cœur ne sait rien adorer,
A mes faibles accents livrez-vous sans alarmes ;
Je ne puis que vous plaindre et non vous admirer.
Je vous plains donc d'être aimable et jolie;
De savoir plaire et de savoir charmer ;
Et si d^ aimer vous faisiez la folie^
Je vous plaindrais de savoir trop aimer.
Babet, Nina n*ont rien qui m'intéresse (a) ;
Un délire aussi doux ne va point jusqu'à moi;
Sourd à leur voix enclnnteresse,
J'aime mieux rire alors que je vous voi.
Ah ! de votre gaîté folâtre
Conservez bien les charmes séduisans .
Je n'aime point au Lyrique-Théâtre
A m* entourer de lugubres accents.
Que la plaintive Melpomène
Etale autour de moi ses tragiques douleurs :
. Des Ris et des Amours Dugazon est la reine,
Et, pour enlever tous les coeurs.
Elle fCa pas besoin de quitter son domaine,
(a) L'auteur n'aimait pas les larmes dans l'opéra comique'i qu'il con*
sidérait comme « le dernier asyle de l'enjouementt » .
96 LE THÉÂTRE A LYON
Craint des mauvais acteurs, connu des bons poètes ;
Gté dans les foyers par le plus joli ton ;
Par des mémoires aux buvettes.
Par de bons vers chez Dugaion^
Par des mots heureux chez Ninon,
En Suisse par des amourettes.
Dans Athènes par la raison,
Et dans Lyon par des emplettes...
Pourtant, ce n'était ni M"* d'Ocquerre, ni M"* Dugazon
qui possédait le cœur de notre original; le ton même des
Stances adressées à cette dernière prouve qu'il n'avait
« jamais soupiré pour ses charmes. » Les initiés du monde
qu'il fréquentait ne prenaient point le change et chuchotaient
le nom de la sémillante M"* Feuchère. Un homme d'es-
prit, demeuré inconnu^ composa même, à cette occasion,
une satire intitulée : Avis d'un Bonhomme à M. Grimod (i),
dans laquelle il plaisante assez méchamment le critique sur
son optimisme et sur sa passion. « Grimod^ disait-il,
Grimod, tes vers valent moins que ta prose,
Et cependant ta prose ne vaut rien.
Pour titre à tes écrits mets toujours : Peu de chose.
Ce titre heureux les désigne trop bien.
Des Lyonnais tu vantes le génie.
Partout tu trouves de V esprit
Et jusque dans V Académie^
Où Delandine écrit, récrit (2)
Ce qu'avant lui d'autres ont dit.
Où de Bory (3) comme toi versiûe.
(i) Gtée par M. G. Desnoîresterres, qui mentionne encore une
pièce intimlée : — Consolation à Mademoiselle Feuchère^ pour la consoler
de ce que, depuis qu'elle est à Lyon, elle n'a pas encore réuni sur son
talent, comme elle l'a fait sur sa personne, l'universalité des suffrages.
Demi-page in-80.
{2) Bibliothécaire de la ville de Lyon, auteur de VEnfer des peuples
anciens,
(3) De Bory, commandant de Pierre-Scize.
LE THÉÂTRE A LYON 97
Où Potot fut, dit-on, introduit
Par une escroquerie,
Où tu le seras si tu veux,
Vu que pour t'asseoir avec eux
Tu fais si bien tes preuves d*ânerie :
Je parle ici de ce goût épuré
QjLii de la glaçante Fetichère
Nous prône par extrait le talent ignoré.
Passe encor de louer les vertus d'Ocquerre,
A ses talens de bon cœur j'applaudis.
Sa taille svelte et sa marche légère,
A mon esprit rappellent Eucharis ;
De sa figure, et si mâle et si fière,
L'amante de Dunois n'eut pas les traits hardis.
Console-toi, mon pauvre La Reynière, "
La cruelle bientôt couronnera tes feux.
Bientôt de l'AfFecteur le secret merveilleux
La reproduira vierge aux héros de Cythère.
Mais l'inflammable Grimod était trop épris pour se lais-
ser désarçonner par des rimes ; il ne quittait plus le théâtre.
On jouait les Deux amis ou le Négociant de Lyon, drame en
3 actes et en prose, de Beaumarchais. Larrivée donnait des
concerts. Pendant le séjour des ambassadeurs de Tipoo-
Saïb, M. Tolozan de Montfort les conduisit au spectacle,
malgré la chaleur caniculaire : on donnait la Mélomanie. Le
lendemain, après le départ d'un ballon lancé en leur hon-
neur par l'aéronaute Fontaine, ces personnages entendirent
M"** Dugazon dans Rose et Collas et à^nsAnnette et LubinÇi).
Sourd et aveugle pour tout ce qui n'était pas sa maîtresse,
La Reynière prônait son jeu, son esprit et sa beauté dans
les journaux où il avait accès. Bref, et pour en finir avec
cette idylle de coulisses, il lui fit une demande en bonne
forme, que la coquette ne repoussa point, malgré les dif-
formités de son amoureux. La famille de La Reynière vou-
(i) Répertoire lyonnais. — Journal de Lyon, jj88.
98 LE THÉÂTRE A LYON
lut s'opposer à cette union ; les pourparlers traînèrent deux
ans; puis, le mariage eut lieu le 4 septembre 1790.
M"* Feuchère, devenue M"^ Grimod, quitta complètement
le théâtre, et les de La Reynière acceptèrent le fait ac-
compli.
Le passage à Lyon de l'Anglais Arthur Young et celui
du musicien Grélry, dont on inaugura le buste en sa pré-
sence sur le théâtre, sont les seuls faits de la grande année
1789 qu'on ait ;\ signaler ici (i). CoUot-d'Herbois continua
ses fonctions de directeur jusqu'à la fin de la campagne
théâtrale, non sans* difficultés, si l'on en juge par la lettre
suivante qu'il écrivait à M. Tdozan de Montfort, le 23 fé-
vrier :
Monsieur,
Depuis un mois, j'ai fait tout ce que j'ai pu pour me passer de
Mme Girardin, qui a joué pendant ce mois-là très-rarement. Cepen-
dant Mme Darboville étant souffrante d'un violent mal de gorge, j'ai
fait requérir hier Mme Girardin de jouer aujourd'huy. Elle a refusé, sous
prétexte qu'en jouant elle nuirait au procès qu^elle a intenté àla Direction^
relativement au rôle d'Antigone. M™» Darboville aurait, à ma sollicita-
tion, joué cependant aujourd'huy la Rosière ; mais son mal a empiré et
il lui est impossible. La pièce est affichée ; l'engagement de M™* Girar-
din, par lequel elle doit jouer, lorsqu'elle en sera requise, subsiste tant
qu'il n'est pas résilié ; il m'est impossible de ! substituer aucun autre
opéra à la Rosière, M. Chevalier-Seguenot étant malade depuis quatre
jours, et la comédie ne m'offre aucunes ressources, ayant eu beaucoup
de peine à trouver celle qu'on doit jouer avant la Rosière, vu l'absence
de Mlle Bernard.
Veuillez, Monsieur, prendre en considération cette position pressante et
critique, et recevoir le tribut du profond respect avec lequel j'ai l'hon-
neur d'être, etc.
D'Herbois (2).
(i) Tablettes cJjronologiques.
(2) Archives mss. de la ville.
LE THÉÂTRE A LYON 99
Déjà Topinion publique, attentive au grand drame qui al-
lait se jouer sur la scène politique, se détournait des spec-
tacles frivoles. Le sieur Leconte venait de faire cession du
privilège des spectacles à un sieur Pages, par acte du 22 fé-
\Tier 1789. CoUot-d'Herbois saisit cette occasion pour se
retirer et pour quitter la France. Il alla diriger la troupe de
Genève, où il jouit de la même considération que dans no-
tre ville ; ce fut là peut-être qu'il puisa ses principes répu-
blicains qui s'exaltèrent si rapidement (i).
On sait le reste. Rentré dans sa patrie, il fut l'un des
principaux instigateurs de la journée du 10 août, et, nom-
mé membre de la Convention, il y fit décréter l'abolition de
la royauté le 21 septembre 1792. « Une grande force de pou-
mons^ — dit M™^ Roland, dont le mari était l'ennemi per-
sonnel de Collot, — \t jeu d'un farceur y V intrigue d'un fri-
pon y les écarts d'une mauvaise tête et V effronterie de Vigno-
rancCy tels furent ses moyens de succès dans les clubs, par-
ticulièrement aux Jacobins, qui osèrent bien parler de lui lors
de la formation du ministère patriote ^ sous le règne de
LouisXVIii). »
On peut opposer à ce tableau hostile le très-curieux por-
trait qu'un ami politique de l'ancien acteur, Fréron, a écrit
dans son journal V Orateur du Peuple :
CoUot-d'Herbois avait apporté à l'Assemblée (de la Convention) un
esprit orné par la littérature, Lart de la déclamation, cette partie si impor-
tante de l'éloquence, n'avait point été tout à fait étranger à ses précé-
dentes études. Une physiofwmie un peu sauvage, une encolure forte et vigou-
reuse, un organe imposant quoique un peu voilé, une diction théâtrale, des
pensées tantôt énergiques, tantôt ingénieuses, une facilité d'improviser
(i) Archiv. mss. de la ville. — Biogr. univers.
(2) Mémoires de Madame Roland, édition Hachette, page 224. -—
CoUot-d'Herbois s'était cru frustré lorsque Roland avait été appelé au
ministère de l'intérieur.
' 1
100 LE THÉÂTRE A LYON
parfois très-oratoire, h talent d'intéresser U cceur et d^ échauffer le sentiment ,
d'attribuer avec art à des causes morales des résultats purement physi-
ques^ de verser dans les âmes une sorte donctUm douce et pénétrante, lui
avaient souvent attiré les applaudissements à la Convention et surtout
aux Jacobins. — Au rtsiQyplus brusque et plus impétueux dans les affaires
qu'adroit et insinuant, faire sauter les prisons par V explosion de la poudre,
exposer par centaines des coupables au feu du canon^ étaient des idées qui
ne révoltaient point son cour, naturellement généreux et tendre, mais vif et pé-
nétré du besoin d'anéantir les ennemis de la liberté (i). »
Membre du Comité de salut public à la chute des Giron-
dins, CoUot-d'Herbois fut envoyé avec Fouché, le lo no-
vembre 93, après la prise de Lyon, pour punir cette ville
de son insurrection.
Eh bien ! les actes de férocité inouïe commis par ces pro-
consuls, une grande ville saccagée, plus de 1600 personnes
massacrées par la mitraille, l'histoire peut-elle sérieuse-
ment les attribuer à la vengeance d'un acteur sifflé ? La ré-
ponse à cette assertion, aussi absurde qu'inexacte, se trouve
dans les Mémoires de l'abbé Guillon de Montléon (2), qui
n'est point suspect de partialité :
« Les personnes, — dit cet écrivain, — qui, dans l'igno-
rance du conflit des factions, n'ont pour expliquer des actes
inouïs de fureur que les conjectures qu'elles peuvent tirer des
petites passions particulières y croient très-simplement que la
rage de CoUot-d'Herbois contre Lyon venait de ce qu'il
(i) Pages 7;et 8 du Fragment pour servir à Vhistoire de la Convention
nationale depuis le 10 thermidor jusqu'à la dénonciation de Lecointre inclusi-
vement, — Paris, le 29 fructidor an n de la République française,
15 septembre 1794.
(2) L'abbé Aimé Guillon de Montléon (1758-1842), né à Lyon, théo-
logien et controversiste, dut son heure de célébrité à une brochure in-
titulée le Grand crime de Pépin-le-Bref (1800). Il y révélait, sous le voile
d'un pseudonyme^ le projet conçu par Bonaparte de se faire nommer
empereur et sacrer par Pie VIL
* o
LE THÉÂTRE A LYON
lOI
avait été sifflé sur le théâtre de cette ville, deux ou trois ans
avant la Révolution... QnoiquQ f habitasse Lyon au temps où
Von prétend que Collotyfut sifflé^ et quoique les événements
de ce genre fussent racontés dans toutes les sociétés, et
parvinssent toujours à la connaissance même des personnes
qui n'allaient point au théâtre, je n'ai jamais ouï dire que
Collot eât reçu une pareille mortification dans notre ville, où son
espèce de talent plaisait beaucoup. Eût-il été sifflé une fois par
hasard, il aurait facilement oublié ce déboire momentané
parmi les faveurs dont l'honora plus d'une fois l'intendant an roi
à Lyon, ce même de Flesselles qui, devenu peu de temps
après prévôt des marchands de Paris, fut la première vic-
time de la Révolution, le 14 juillet 1789, immédiatement
avant la prise de la Bastille. »
« M. de Flesselles, de qui personne à Lyon n'eut à se
plaindre, qui obligea tous ceux qui recoururent à lui, mais
qui réunissait à beaucoup d'amabilité dans l'esprit et dans
les manières une très-grande mollesse de mœurs et une
extrême faiblesse pour les flatteurs, quels qu'ils fussent,
s'était laissé séduire par des vers que Collot lui avait adressés en
1787 (i). L'histrion avait même captivé la facile condes-
cendance de l'intendant pour les adulateurs, au point que
celui-ci l'admit à quelques-unes de ses fêtes, où il vint chanter
des couplets à sa louçtnge et à celle des conviés, l'élite des citoyens y
qui lui en témoignaient leur satisfaction par d'éclatants suf-
frages (2). »
Singulière dérision des choses humaines ! C'est l'acteur
adulé des Lyonnais, c'est CoUot-d'Herbois qui est choisi en-
Ci) L'abbé Guillon fait une erreur de date : on a vu plus haut que
Jacques de Flesselles avait quitté Lyon au mois d'août 1784.
(2) Mémoires pour servir à Vhistoire de Lyon pendant la Révolution , par
Tabbé Guillon de Montléon, 1. 11, p. 532 et suiv. — Paris, 1834.
w
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• • •
I02
LE THEATRE A LYON
tre tous les régicides pour aller décimer ceux-là même qui
avaient eu le tort de l'élever jusqu'à eux et qui lui prodi-
guaient naguère leurs applaudissements...
Quant à l'origine de l'erreur que le bon abbé vient de
réfiiter, je crois que la voici : on se souvient des éloges ex-
cessifs que La Reynière adressait à Collot-d'Herbois dans sa
Lettre à Mercier ^ sous l'empire d'une passion qui lui faisait
voir tout couleur de rose. Neuf ans plus tard, les illusions
s'étaient évanouies, et Grimod, mûri par plus d'une épreu-
ve, gardait une profonde rancune à la Révolution, qu'il
avait combattue dès le principe. Ayant à parler^ dans un
feuilleton dramatique, des théâtres de province, et spécia-
lement de ceux de Lyon, l'impressionnable critique éprouva
le besoin- de stigmatiser l'odieuse conduite de son ancien
ami :
« On pense bien, — dit-il, — que les arts, amis de la paix, de la
justice et de la tranquillité, que l'art dramatique surtout y a souffert
dans la même proportion. D'abord, les deux théâtres des Terreaux et
des Célestins ont offert à la vengeance du feu citoyen Collot-d'Herbois
de nombreuses victimes. Cet homme féroce, ancien régisseur et acteur du
premier de ces théâtres, s* est vengé sur Us Lyonnais des nombreuses huées
quHl en avait reçUy et sur la plupart de ses camarades, du Juste mépris
qu'ils avaient pour son insolence et pour ses vices (i). » ,
La contradiction était flagrante. Mais Collot-d'Herbois
était mort à la Guyane en 1796 ; la boutade fit son chemin,
personne ne la releva avant l'abbé Guillon, qui fut peu lu,
et l'erreur fut acceptée, sans examen, comme tant d'autres
mensonges historiques.
(i) Le Censeur dramatique, X, i, p. 338-339, 30 vendémiaire an vi
(1797). Ce recueil, publié de 1797 à 1798, a été réuni en 4 vol. in-40, de
600 pages chacun, par le libraire Desenne. — Grimod a fait paraître
plus tard V Alambic littéraire^ 2 volumes, et VAlmanach des gourmands
(T803-1811.)
LE THEATRE A LYON XO3
On a vu défiler jusqu'ici sur le Théâtre de Lyon tous les
noms qui ont illustré Tart dramatique fi-ançais au xviii* siè-
cle, depuis Clairon et Le Kain, Noverre et Camargo, Caillot
et Brizard, Bellecour, François Auge, jusqu'à la Saint-
Huberti, Vestris et Dugazon.
Le lecteur a remarqué combien d'artistes appartiennent à
notre ville, par leur naissance, comme Marie Antier,
Françoise Journet, Dorothée Luzy, Henri Larrivée, De-
zaides etLeclair, l'organiste Marchand; ou parles séjours
prolongés qu'ils y ont fait , tels que Préville , Fleury ,
Grandval, Larive, les deux Sainval, Hus et Joubert, Fabre
d'Eglantine, Collot-d'Herbois et M"^ Feuchère...
Il était impossible de les citer tous.
Pourtant, afin de réparer quelques oublis, il faut au
moins nommer à cette place les compositeurs Lamanière (i)
et Antoine Dauvergne (2); Audibert, maître de musique
de TAcadémie de Lyon (3); Pe)n'aud de Beaussol, qui dut à
sa tragédie des Arsaciàes son heure de célébrité (4) ; Chas-
poul, qui composa, en 1768, avec Sedaine, l'opéra comi-
que des Sabots (s); Martelli, comédien et auteur dramati-
que, qui fut attaché pendant plusieurs années au théâtre de
Lyon (6), et M"* Chevalier, élève de ce théâtre, qui est
(i) De r Académie de Lyon. Il est mort le 28 juin 1808. — V. Bio-
graphie lyonnaise^ par Breghot du Lut et Péricaud.
(2) Né à Clermont-Ferrand le 4 octobre 1713, mort à Lyon le 12 fé-
vrier 1797. — Biogr, univers,
(3) Audibert est l'auteur d*un Mémoire inédit sur la découverte d'un
chifïre musical, qui a été conservé à la Bibliothèque nationale.
(4) Né à Lyon vers 1735, mort vers 1799. — Biogr, Rabbe, supp.
(s) Frère d'un notaire de Lyon. — Delandine, Bibliographie drama-
tique»
(6) Honoré-Antoine Richaud-Martelli, né à Aix vers 173 1, mort à
Marseille le 18 juillet 1817. — V. Biogr, îyon. — Son principal ouvrage
est Les deux Figaros ou le Sujet de comédie.
I04 LE THÉÂTRE A LYON
restée fameuse par ses intrigues à la cour de Paul P' (i).
Les comédiens formaient^ sous l'ancien régime, une
classe à part et occupaient dans la société une situation
tout exceptionnelle. Avaient-ils du talent, de Tesprit, de la
beauté, de la vogue surtout : on les portait aux nues, toutes
les portes s'ouvraient pour eux, tandis qu'elles restaient
closes pour les gens du tiers. Dans cette aristocratie, si fière
de ses quartiers de noblesse et souvent si hautaine envers la
bourgeoisie, peu importait à la femme la naissance et le
rang d'un homme ; que ce fut un acteur, qu'il eût encore
aux joues le rouge du théâtre : s'il était couru, les plus
grandes dames en faisaient leur héros. L'impertinent Mole
donnait-il une représentation à son bénéfice ? les femmes
faisaient souscrire tout le monde, même l'archevêque de
Lyon, Mgr de Montazet, et l'acteur employait le produit
de la souscription, 24,000 livres, à acheter à sa maîtresse
une parure de diamants. La chose fut mise en chanson :
a Mole, plus brillant que jamais,
Donne des soupers à grands frais.
Prend des carrosses de remise,
Entretient filles et valets ;
Lu femmes vuident les goussets
Même des Princes de V Eglise,
Pour servir
Son plaisir,
La sottise !
Elles se mettraient en chemise (2). »
Le spirituel Diderot,qui aimait « l'utile et belle profession
de comédiens ou àt prédicateurs laïques, y* suivant ses propres
expressions, « la verve dont l'homme de génie se sert pour
(i) Bîogr, Rabbe, suppl.
(2) Mèm, secr, de Ba(^aumont, i^ janv., 6 fév. et 2 mars 1767.
LE THEATRE A LYON 10$
châtier les méchants et les fous, » Diderot, qui dans sa jeu-
nesse avait « balancé entre la Sorbonne et la Comédie,» ne
fait aucune difficulté de reconnaître que, de son temps, les
gens de théâtre étaient « fastueux, dissipés,dissipateurs, in-
téressés, vagabonds, à Tordre des grands; qu'ils avaient peu
de mœurs, point d'amis, presque aucune de ces liaisons sain-
tes et douces qui nous associent aux peines et aux plaisirs
d'un autre qui partage les nôtres. » Il est vrai que l'on
comptait de fort honorables exceptions : après Molière, les
Quinault, Montmesnil, l'auteur du Paradoxe sur le comédien
cite ses contemporains Brizard et Caillot, qui étaient « éga-
lement bien venus chez les grands et chez les petits; à qui
vous auriez confié sans crainte votre secret et votre bourse,
et avec lesquels vous auriez cru l'honneur de votre femme
et l'innocence de votre fille beaucoup plus en sûreté qu'a-
vec tel grand seigneur... »
Mais, « un comédien galant homme et une actrice hon-
nête femme étaient des phénomènes rares, y> En effet, « qu'est-
ce qui leur chaussait le socque ou le cothurne ? Le défaut
d'éducation, la misère et le libertinage. Le théâtre est une
ressource, jamais un choix... »
« Un jeune dissolu, au lieu de se rendre avec assiduité
dans l'atelier du peintre, du sculpteur, de l'artiste qui Ta
adopté, a perdu les années les plus précieuses de sa vie et il
reste à vingt ans sans ressources et sans talents. Que vou-
lez-vous qu'il devienne ? Soldat ou comédien. Le voilà donc
enrôlé dans une troupe de campagne. Il rôde jusqu'à ce
qu'il puisse se promettre un début dans la capitale. Une
malheureuse créature a croupi dans la fange et la débauche;
lasse de l'état le plus abject^ celui de basse courtisane, elle
apprend par cœur quelques rôles, elle se rend un matin
chez la Clairon, comme l'esclave ancien chez l'édile ou le
préteur. Celle-ci la prend par la main, lui fait faire une
I06 LE THÉÂTRE A LYON
pirouette, la touche de sa baguette et lui dit : « Va faire
rire ou pleurer Us badauds. »
« Ils sont excommuniés. Ce public, qui ne peut s'en
passer, les méprise. Ce sont des esclaves sans cesse sous la
verge d'un autre esclave. Croyez-vous que les marques
d'un avilissement aussi continu puissent rester sans effet,
et que, sous le fardeau de Tignominie, une âme soit assez
ferme pour se tenir à la hauteur de Corneille (i) ? »
On voit que le critique se montrait sévère à l'égard des
comédiens de son temps et qu'il ne craignait pas de noir-
cir le tableau, pour mieux accentuer ce qu'il voulait faire
entendre.
Les gens de théâtre étaient placés sous la tutelle de l'ad-
ministration et dépendaient, à Paris, des gentilshommes de
la cour, à Lyon, du gouverneur. Cette protection allait
jusqu'aux abus les plus criants : jusqu'en 1774, il suffisait,
à toute fille ou femme, de l'inscription à l'Opéra ou à la
Comédie-Française, pour se dérober au pouvoir paternel
ou conjugal. « La dernière des filles de chœur, de chant
ou de danse, la dernière des figurantes était émancipée de
droit : un père, une mère, indignés de son inconduite, ne
pouvaient plus exercer sur elle l'autorité; il lui était permis
de braver un mari, si elle était mariée. » Aussi, de la part
de toutes ces femmes, quelle aspiration vers ces planches
qui donnaient l'affranchissement ! Monter là, c'était l'effort
et l'ambition de chacune. Toutes les protections étaient
mises en jeu pour arriver jusqu'au cabinet d'un directeur
de théâtre. « Et n'est-ce pas là, sous les pilastres aux feuilles
d'acanthe, au-dessous des nymphes nues dormant dans les
grands cadres, dans le boudoir majestueux où le maître
(i) Diderot, Paradoxe sur le comédiefi.
• LE THÉÂTRE A LYON IO7
tout-puissant trône en robe de chambre auprès du bureau
chargé de faisceaux de licteurs, de casques à panaches, de
brocarts, de partitions ouvertes de Castor et PolluXy n'est-ce
pas là que Baudouin, le peintre et ITiistorien de la demi-
vertu, a placé le Chemin de la Fortune? Généralement, le
directeur est un homme ; sur une mine de jeunesse, sur un
joli sourire, sur un peu de gentillesse et beaucoup de bonne
volonté qu'on lui montre, il consent à recevoir et à agréer.
Une fois le maître séduit, la femme est inscrite, et quelque
peu douée qu'elle soit, quelque habile homme la mettra,
au bout de trois mois, en état de paraître sur ses jambes
dans un ballet (i). »
Le directeur devait inforaier le prévôt des marchands de
tout ce qui se passait au théâtre ; les correspondances citées
plus haut donnent une idée assez exacte du genre de con-
trôle auquel les entreprises de spectacle étaient soumises.
Le gouverneur, par l'entremise du prévôt des marchands,
veillait au maintien de l'ordre et au choix des artistes, don-
nait les ordres de débuts et jugeait les différends qui sur-
gissaient entre le directeur et les acteurs. On s'étonne au-
jourd'hui de voir ces personnages s'occuper gravement du
plus petit événement des coulisses. Mais, ce qui est plus
curieux encore, c'est de feuilleter les plaintes qui leur
étaient adressées soit par le directeur, récriminant sur la
mauvaise volonté de sa troupe ou sur les maladies qui y
sévissaient, soit par les acteurs, gémissant de l'oppression
que ce tyranneau leur faisait subir : c'était Dufresney, gui
se plaignait que Rosambert le rendait malade en le faisant
chanter tous les jours, cela « pour faire sa cour » à M. To-
(i) La femme au XFIII^ siècUy par Edmond et Jules de Concourt,
p. 292.
X08 LE THÉÂTRE A LYON *
lozan de Montfort (i) ; c'était M"* Génie Perron, qui avait
dansé pendant deux ans « avec un succès des plus reconnus »
et qui, « singulièrement mortifiée » de ne recevoir aucune
gratification^ touchait le « cœur si bon » de M. le comman-
dant par des phrases comme celle-ci : « La balance que vous
avez pour emblème de votre justice ne sert pas certainement à
pe^er les corps (c'est une danseuse qui parle), mais le mérite,
les qualités et les talents (2). » C'était encore un brave
musicien, qui protestait, avec une comique indignation,
contre les beaux fils de famille qui faisaient tapage à
« lorquestre » et jouaient mille tours aux pauvres instru-
mentistes (3), etc., etc. Le commandant trouvait le
temps de lire et d'apostiller lui-même toutes ces fastidieuses
suppliques, qui étaient souvent prises en considération.
Si l'Administration se montrait tutélaire pour les gens de
théâtre, elle leur faisait parfois sentir toute sa rigueur. En
(i) Lettre du 5 janv. 1787, arch. mss., passim.
(2) Lettre de mai 1786, eod. loc.
(3) Archiv. mss. — Lettre à M. Tolozan de Montfort :
« De Lyon, ce 3™^ janvier 1786.
« Monsieur,
« C'est un grand abus que de voir Lorquestre des musidens rempli
des jeunes gents qui font tous les jours un tapage orrible ; et faisant rire
les actrice qui sont en scène ; et empêchant d'entendre tous les gents
qui sont derrière Lorquestre; vous sente, que cela n*est pas amusant
pour ceux qui veulent jouir du spectacle ; d'ailleurs, il est ridicule de
voir tous ces jeunes gentz àlorsquestre Lorqu'il y a de la place ailleurs ;
ensuite la moitié du tems ces jeunes gents se disputent avec les musicieny
leur prenant leur chaise quHl ne veulent pas leur rendre ; cela occasionne
des bruits et cela dérange les spectacle. Nous vous supplions de vouloir
bien donné vos ordres pour qu'il neutre personne alorquestre que les
musiciens. »
« En attendant, Monsieur, nous sommes avec la plus parfaite estime
et considération,
« Lh... »
' LE THÉÂTRE A LYON IO9
1765, la moitié des pensionnaires de la Comédie-Française
fut enfermée au For-l'Evèque pour avoir refusé obstinément
de jouer (i). L'acteur qui résistait à un ordre de début
subissait le même sort; celui qui rompait un engagement
ou excitait les autres à le faire, allait coucher en prison et
n'était remis en liberté « qu'à la condition de vider la ville
dans les vingt-quatre heures (2). » Le moindre trouble au
théâtre, la moindre cabale pouvait attirer au coupable une
lettre de cachet ; enfin, on connaît la mesure d'expulsion
dont, en 178 1, le directeur Husfut l'objet (3).
Depuis la chute de l'ancienne monarchie, ces hauts et
ces bas, ces violents contrastes entre l'adulation et le mé-
pris, entre la protection et la rigueur, ont disparu de nos
lois. La tutelle administrative n'intervient plus : les plain-
tes et les différends des comédiens sont portés devant les
tribunaux. Toutefois, le talent ou la vogue feront toujours
aux artistes dramatiques une situation hors cadre, qui leur
ouvrira les salons célèbres de la Restauration, tandis que
l'indifférence et la médiocrité les feront descendre au der-
nier degré de l'échelle sociale.
Cette étude devrait s'arrêter là. Le xviii* siècle^ si insa-
tiable de plaisirs et de nouveautés, est bien mort quand la
Révolution commence. Sans doute, les spectacles ne fer-
(i) Mém, secr. de Bachaumont, avril 1765.
(2) Archiv. mss. Lettre à M. de La Verpillière, 27 avril 1764, con-
cernant Tacteur Brisson.
(3) V. plus haut, ch. IV, page 57.
no LE THÉÂTRE A LYON
meront point leurs portes (i) ; mais, on Ta dit plus haut,
l'attention publique est tout entière au-dehors, sollicitée
par les terribles événements dont Lyon va devenir le
théâtre.
Il est à remarquer que presque toutes les pièces qui se-
ront jouées dans cette ville pendant la période révolution-
naire retraceront les scènes de la gigantesque épopée.
(i) Le catalogue de la bibliothèque Coste mentionne une série de
documents qui se réfèrent aux théâtres de Lyon pendant la Révolu-
tiqn :
— Règlement relatif aux spectacles de Lyon, du 21 janvier 1790.
— Adresse du sieur Pages, directeur des spectacles de Lyon, aux ci-
toyens de cette ville, en réponse à celle des sieurs Lainez, Lays, Rous-
seau, Chéron, Gardel, de la Suze, de Saint-Prix, Hus-Malo et Daubrière,
d-devant propriétaires avec le sieur Pages. 1790.
— Ordonnance de MM. les maires et officiers municipaux deja
ville de Lyon concernant les spectacles. 13 avril 1790.
— Id. — 10 mars 1791.
— Lettre des comédiens du Théâtre de Lyon à M, Vitet, maire, en
date du 11 octobre 1791, et réponse de celui-ci au sujet de îa présence
des soldats dans les pièces de théâtre. Lettre de M. Hallot, commandant
delà 19e division militaire. — Même date.
— Pétition à TAssemblée nationale, présentée par les comédiens de
Lyon, Marseille, Rouen. — S. d.
— Dénonciation de la corporation des auteurs dramatiques (par
Plachat, intéressé à l'entreprise des théâtres de Lyon). -7 S. d.
— Mémoire pour les comédiens du spectacle de Lyon contre les au
teurs dramatiques.
— Pétition à la Convention, pour le même objet, signé Plachat et
Mortainville (sept. 1792).
— Carte d'abonnement aux spectacles de Lyon, du 7 mai 1793,
sign. aut. de MM. Martin et Bouvard.
— Arrêté des représentants sur l'ouverture du théâtre. 14 fructidor
an II.
— Lettre de l'adjudant-général Dauvergne, commandant la force
armée dans le département du Rhône, aux citoyens artistes du Grand-
Théâtre dé Lyon, au sujet de la réouverture du théâtre. Lyon, le 27
thermidor an vu.
LE THÉÂTRE A LYON III
Ce seront, en 1790, les Etrennes de la Liberté, fête patrio-
tique,composées par l'acteur Planterre qui, la même année,
prendra la direction du Courrier de Lyon, avec le docteur
Jacques Pitt (i) ; en 1793, les Fugitifs de Lyon, esquisse
dramatique en deux actes et en prose, par Marignié;
V Apothéose de Chalier, impromptu patriotique, par le citoyen
Capinaud (2); le Triomphe de la Raison, publique, pièce pa-
triotique et républicaine dédiée aux sans-culottes, comédie
en trois actes et en vers libres, par le citoyen Guigoud-
Pigale (3). Le 18 novembre 1793, le Théâtre L3rrique des
Arts, à Paris, donnera la i" représentation de V Echappé de
Lyon (4). On trouve encore, de Tan m à Tan v, Collot dans
Lyon, tragédie en vers et en cinq actes (qui ne fut pas re-
présentée), par Fonvielle, de Toulouse ; la Mort de Robes-
pierre, d^un auteur inconnu ; la Famille lyonnaise, drame en
trois actes et en vers, et le Siège ou V Héroïne républicaine,
mélodrame en un acte et en prose, par David Mermet (5).
Par un étrange contraste, le Grand-Théâtre donnera, en
plein thermidor, un ballet-pantomime en trois actes, dans
le goût de ceux de Noverre, par le citoyen Coindé : les
Amours de Vénus ou le Siège de Cythère (6).
Les passions populaires, surexcitées par ces spectacles
d'une saisissante actualité, rempliront plus d'une fois nos
(i) V, Histoire des journaux de Lyon y parM. Aimé Vingtrinier, p. 17.
(2) Professeur de grammaire à Lyon, mort vers 1807, auteur de
plusieurs ouvrages, notamment du Panorama de V Univers ou Géographie
générale mise en vers, Lyon, 1806. La préface de cet ouvrage contient
quelques particularités sur la vie de Tauteur. V Apothéose de Chalier avait
été composé pour le théâtre des Célestins.
(3) Guigoud-Pigale (P.), né à Lyon le 18 mars 1746, mort le 20
août 18:6.
(4) Tablettes chronologiques âift 1789 à 1800.
($) J. M. David Mermet. V. Qjiérard, France littér.
(6) Biblioth. Coste, Répert. Lyonnais.'
112 LE THÉÂTRE A LYON
théâtres de leurs clameurs. En septembre 1795, les Lyon-
nais, irrités de l'élargissement des terroristes, y feront
retentir le chant du Réveil du peuple^ et il faudra l'interven-
tion du commandant de place pour rétablir le calme (i).
Les acteurs ne seront pas exempts du délire universel. Un
ancien comédien, Antoine Dorfeuille, signalé à Dubois-
Crancé pour son exaltation politique, sera désigné par ce
délégué de la Convention pour présider le tribunal révolu-
tionnaire qui sera institué à Lyon, à la prise de cette ville ;
et le misérable, après le 9 thermidor, sera assommé et jeté
à la Saône par le peuple furieux (2). Le 11 mai 1797, Jean
Storkenfeld, acteur du Grand-Théâtre, l'un des chefs des
associations connues à Lyon sous le nom de Compagnies de
Jihu et du Soleil^ sera condamné à mort par le tribunal cri-
minel de la Haute-Loire pour avoir assassiné le corse Istria,
au grand Hôpital ( 3 ) .
Pourtant, la tourmente une fois apaisée, tandis que l'an-
cienne Comédie-Française se partagera en deux camps,
au commencement de l'année 1796, Lyon verra reparaître,
comme l'ombre des élégances passées, la figure aristocra-
tique de Larive, revenant chercher les souvenirs et les ap-
plaudissements de sa jeunesse, après la captivité que la
Terreur lui aura fait subir. Et le public, fidèle à son ancien
acteur, payera les billets de parterre jusqu'à mille francs...
(i) Tablettes chronologiques.
(2) Né en 1750, assassiné le 4 mai 179$. Biog, univers. — Un autre
Dorfeuille (P.-P.), comédien et auteur dramatique, né vers 1745, s'as-
socia avec Gaillard, directeur du Théâtre de Lyon, prit avec lui la ges-
tion de TAmbigu-Comique, à Paris, et fit construire, quelques années
après, la salle qui servit depuis aux Français. Il est l'auteur de diver-
ses pièces et des Eléments de Vart du comédien ou VArt de la représenta-
tion théâtrale (Paris, 1801).
(3) TalL chronoh
LE THEATRE A LYON II 3
en assignats, somme relativement considérable en ce temps
de calamité financière (i). Puis, peu à peu, l'amour de
l'art et la soif du succès aidant, les chefs-d'œuvre des
maîtres reprendront la place que leur avaient un instant
disputée les tristes ouvrages éclos en un jour de malheur.
Le théâtre de Soufflot, qui appartenait à la ville, fut
vendu, pendant la Révolution, comme propriété privée, en
exécution de la loi du 28 ventôse an iv. Mais, la situation
des directeurs devenant intolérable, par suite des exigences
des différents propriétaires, la ville finit par comprendre
que, dans l'intérêt des spectacles, cet édifice devait rentrer
dans le domaine communal. En 1827, le Conseil munici-
pal le racheta et décida que, au lieu d'être réparé, le théâ-
tre serait reconstruit sur des plans nouveaux, dont l'exécu-
tion fut confiée à MM. Chenavard et PoUet. La première
pierre du monument actuel fut posée le 19 août 1828 (2).
Vers la fin du xviii*" siècle, Lyon possédait un autre
théâtre, celui des Célestins. Un bref du pape Pie VI, en
date du 30 septembre 1778, ayant supprimé le couvent de
ce nom, les bâtiments en furent vendus, pour la somme
d'un million cinq cent mille livres, à un sieur Devouges,
qui les revendit en détail à des spéculateurs. De leur côté,
ceux-ci ouvrirent des rues sur cet emplacement et firent
de l'église des Célestins une salle de spectacle. Quelle est
la date précise de cette transformation ? C'est ce qu'il est
assez difficile d'établir. Ce qui n'est pas douteux, c'est
qu'on donnait des représentations au Théâtre des Célestins,
appelé alors V Ecole des Mœurs, dès les ' premières années de
la Révolution, notamment en 1795 : ce fut, en effet, cette
(i) V. de Manne, op. cit. — Mille francs en assignats représentaient
une valeur de trois à quatre francs en numéraire.
(2) Lyon anc. etmod.y Grand-Théâtre.
8
114 LE THÉÂTRE A LYON
année-là que Capinaud publia Y Apothéose de Chalier, qu'il
avait composé spécialement pour ce théâtre (i). Le drame
et le vaudeville se partageront la nouvelle scène, qui aura
aussi ses vicissitudes et sera deux fois la proie des flammes,
mais qui aura, de tout temps, les prédilections des Lyon-
nais. Plus d'un auteur dramatique et plus d'un artiste de
talent, tels que nos compatriotes Montperlier, vaudevilliste
et dramaturge (2), et Emile Cottenet, acteur de ce théâtre
et auteur de Dumollet à Lyon (3) ; Carmouche, Eugène de
Lamerlière, Virginie Déjazet, etc., viendront y essayer
leurs premiers pas (4).
Du reste, Lyon demeure fidèle à ses traditions artistiques
et littéraires. Sur le déchn du siècle dernier, cette ville
voyait naître toute une pléiade de jeunes talents. C'était,
dans le groupe des auteurs, le baron RévéronySaint-Cyr (5),
plus tard chef de division au ministère de la guerre, auteur
de romans et de pièces de théâtre ; Vial (6), à qui l'on
doit la fameuse Aline, reine de Golconde, le Mari et Vamant,
les deux Jaloux, les deux Mousquetaires \ Jeanne Vîsmes de
(i) V. Lyon anc. et tnod.. Théâtre des Célestins. — Journal de Pel-
zin, du 3 nov. 1796, p. 278-280, cité dans la Biogr. lyon. de Breghot
du Lut et Péricaud, sous le mot Capinaud.
(2) Jean- Antoine-Marie Montperlier, né à Lyon le 30 juin 1788,
mort le 23 mars 1819. Journal de Lyon du 30 mars 1819. Quérard,
France liilér.
(3) Et de plusieurs ouvrages dramatiques. Il est mort à Paris en
1835. Quérard, France litlèr.
(4) Kauffmann a publié un poème héroi-comique en 4 chants, la
Célestinade ou la guerre des auteurs et des acteurs lyonnais, Lyon,
Rossary, 1828.
(5) Jacques-Antoine Révérony Saint-Cyr, né le 5 mai 1767, mort en
1829, — Biog. Rabbe.
(6) Jean-Baptiste-Charles Vial, né à Lyon le 2 juillet 1771, mort le
27 octobre 1837. — Biog. lyon.
LE THÉÂTRE A LYON Il5
Valgay (t), excellente musicienne, auteur de la musique
de PraxjUlc, opéra représenté en 1800. C'était encore le
pharmacien Macors (2), qui fit du théâtre comme Reboul
faisait des. vers ; c'était Riboutté (3), Tun des défenseurs de
Lyon contre la Convention, qui jeta aux orties son carnet
d'agent de change, pour composer Y Assemblée de famille
(1808), qui eut 59 représentations, le Ministre Anglais
(1812), la Réconciliation par ruse (i8i8), V Amour et V Ambi-
tion (1822), le Spéculateur^ ou l'Ecole de la Jeunesse (1826),
et à qui l'on décocha cette épigramme :
Riboutté dans ce monde a plus d'une ressource,
Il spécule au théâtre et compose à la Bourse.
Le groifpe des acteurs n'était pas moins remarquable.
Fille d'un ma.ître charpentier, M"^ Devienne (4), née avec
L]n goût prononcé pour le théâtre, jolie, douée d'une phy-
sionomie piquante et spirituelle, d'une taille svelte et élé-
gante, s'engageait, à l'âge de vingt ans, dans la troupe des
(i) Jeanne-Hippolyte Moyroud , femme d'Anne-Pierre- Jacques
Vîsmes de Valgay, née vers 1767. — Biog. univers,
(2) Paul Macors, né à Lyon, mourut le 11 mars 181 1. La France
littéraire cite ses pièces de théâtre.
(3) François-Louis Riboutté, agent de change à Paris et auteur dra-
matique, est né à Lyon en 1770 et mourut à Paris en février 1834.
Qjiiérard, Fr. ////.
(4) Jeanne-Françoise Thevenin, dite Mii« Devienne. — Extrait des
registres de îa paroisse de Saint' Pierre y à Lyon : « Jeanne-Françoise, fille
d'Alexis Thevenin, maître charpentier, et de Marie-Françoise Demare,
sa femme, née ce matin, rue Pizay, a été baptisée par moi, vicaire
soussigné, ce 21 juin 1763. »
Elle mourut, à Paris, le 20 novembre 1841, âgée de 78 ans. Elle
avait épousé, le 10 mai 1809, Antoine Gévaudan, riche banquiw et
l'un des administrateurs des messageries impériales. — V. De Manne,
Galerie hist. desportr, des comédiens.
Il6 LE THI*.ATRE A LYON
comédiens de Bruxelles et débutait à la Comédie-Française
le 7 avril 1785. « Peu d'actrices, dit le Mercure^ parurent
avec plus d'éclat sur le premier théâtre de France et réuni-
rent un plus grand nombre de suffrages. » Antoine Périer,
fils d'un pâtissier de la rue de la Barre (i), d'abord
commis chez un négociant^ fut soldat, revint à Lyon
grièvement blessé et se fit comédien : il joua les amoureux
aux Célestins et au Grand-Théâtre, suivit enItaUe la troupe
de M"^ Raucourt (1806), et débuta le 2 avril 1813 à l'O-
déon, et le 17 août 1820, à la Comédie-Française. Un autre
sociétaire de notre grande scène nationale, Benoît Baudrier,
qui appartenait à une bonne famille lyonnaise, resta trop
peu de temps au théâtre pour y laisser un souvenir dura-
ble (2).' Enfin, Louis Perrin, dit Thénard aîné, né à Lyon
le 24 avril 1779, fut attaché deux années au Grand-Théâtre,
où il jouait les premiers comiques^ à la plus grande joie des
Lyonnais dont il était fort goûté, lorsque le bruit de son
succès le fit appeler à Paris en novembre 1807 (3).
Dans la suite, Lyon applaudira Brissebarre, dit Joanny,
dont le jeu provoquera une vive polémique qu'on retrou-
(i) Antoine Périer, né à Lyon le 7 mars 1784, mourut à Tours, le
6 juin 1863, dans sa 79e année. — V. De Manne, Galerie hist. des co-
médiens de la troupe de Talma, Lyon, Scheuring, 1866, p. 411 et suiv.
. (2) Né à Lyon vers 1772, Benoît Baudrier jouissait à Nantes d'une
certaine réputation, lorsqu'il fut appelé à Paris pour y débuter le. 27
juin 181 1 ; nommé sociétaire, le 27 juin 1817, il fut emporté par une
maladie le 13 octobre suivant, à l'âge de 45 ans. L'acteur Granville le
remplaça. — V. De Manne, même ouvrage, p. 397 en note.
(3) Thénard fut très-vivement regretté à Lyon par les amateurs de
spectacle. Il débuta à Paris, le 3 novembre 1807, dans le Dissipateur y et
mourut à Metz, où il s'était retiré, le 17 octobre 1825. — Son fils
Etienne-Bemard-Auguste Perrin, dit Etienne Thénard, né à Lyon le
21 janvier 1807, ^^^ acteur comme son père; il mourut à Bruxelles le
8 mai 1838. — V. De Manne, même ouvrage, p. 297 et suiv.
LE THÉÂTRE A LYON ' II7
vera dans le Bulletin de Lyon de 1805 à 1807 et qui ne sera
pas étrangère à son entrée à la Comédie-Française ; Mon-
rose, que Paris lui enlèvera en 181 5 ; le grand Talma,
M^^^ Mars, M"^ Rachel, que les villes de province accueille-
ront avec tant d'enthousiasme (i); et le plus pur de l'esprit
français revivra encore en MM. Clairville et de Nervaux (2),
deux charmants vaudevillistes, enfants de notre cité.
Les tournées de M"^ Mars en province nous rappellent
(i) Brissebarre, dit Joanny, né à Dijon le 2 juillet 1775, mourut le 5
janvier 1849.
Monrose, né à Besançon le 6 décembre 1783, mourut le 20 avril
1843. ïl souscrivit un engagement au Grand-Théâtre de Lyon, où la
Comédie-Française vint le réclamer comme sien. — V. De Manne,
même ouvrage, p. 365 et suiv., et 422 et suiv.
(2) De Nervaux, littérateur et vaudevilliste, né à Lyon vers la fin du
xviiie siècle, propriétaire à Genay près de Lyon.
Louis-François Nicolaïe, dit Clairville^ auteur dramatique, né à Lyon,
le 28 janvier 1811, de parents comédiens, passa son enfance dans les
■coulisses de M™* Sacqui, puis au théâtre du Luxembourg, où il débuta
à l'âge de 10 ans. Il remplit, sous Tadministration de son père qui diri-
geait cette petite scène, tous les emplois, depuis celui de contrôleur et
de souffleur jusqu'à celui de jeune premier ou de père noble. En 1829,
il fit représenter sa première pièce. 18^6 dans la Lune inaugura cette
série de revues comiques dans lesquelles il a tant de fois réussi. Parmi
ses quatre ceiit cinquante ouvrages, pleins de verve et de gaîté bouflPonne,
citons Margot (1837), les sept Châteaux du Diable (1844), Un troupier
qui suit les bonnes (1860), etc. — V. Vapereau, Dict, des contemporains.
L'art dramatique l'a perdu récemment : Clairville est mort à Paris
le 8 février 1879, à l'âge de 68 ans, vivement regretté de ses nombreux
amis, et en particulier des artistes lyonnais résidant à Paris. Il laisse
des fils.
Nommons enfin, parmi les contemporains, M. Edouard Pailleron, le
très-spiriiuel auteur de VAge ingrat, dont la famille habite encore
Lyon, bien qu'il n'y soit pas né lui-même; M. Joséphin Soulary, le
poète si délicat et si fin, qui vient de révéler une nouvelle face de son
talent dans Un grand homme qu'on attend, et M. Lassalle, le jeune et
célèbre baryton du Grand-Opéra, originaire de notre ville, dont il
continue avec succès les traditions musicales.
Il8 U THéATRE A LYON
<
une anecdote, rapportée par l'un de ses admirateurs, que
nous allons conter en finissant.
M"*" Mars donnait des représentations à Lyon, lorsque,
le lendemain même de la première, elle vit entrer chez elle
un des fabricants de soieries les plus connus de la ville :
— Madame, lui dit-il, vous pouvez faire ma fortune.
— J'en serais fort aise, Monsieur; mais par quel moyen ?
— En acceptant cette pièce d'étoffe.
Notre homme déploya une pièce de magnifique velours
épingle.
— Faites de ceci une robe. Lorsqu'on l'aura vue sur
vous, toutes les femmes en voudront porter de semblables,
et c'est ainsi que ma fortune se fera.
— Mais, Monsieur, jamais femme qui se respecte n'a
porté une robe jaune !...
— C'est précisément pour cela. Madame, qu'il s'agit de
mettre cette couleur à la mode, et nulle au monde' ne peut
mieux que vous... Ne me refusez pas; acceptez, en grâce.
— Non, Monsieur, je ne vous refuse pas, répon4 la cé-
lèbre actrice, en se disposant à payer le prix de l'étoffe.
— Hé! Madame, que prétendez-vous faire ? s'écrie le
négociant. Je ne sollicite de votre part qu'une faveur :
celle de faire connaître l'adresse de ma fabrique.
M"*^ Mars, trouvant l'idée originale, céda et promit. De
retour à Paris, elle fit confectionner la robe, et, le soir de
sa rentrée, dans le rôle de M"** de Clainville, de la Gageure
imprévue^ elle attendait le moment de paraître en scène,
revêtue de la splendide robe jaune, lorsqu'un dernier regard
jeté sur la glace fit subitement naître un doute dans son
esprit : elle se trouva ridicule et déclara qu'elle ne jouerait
pas.
L'heure était trop avancée pour qu'il fût possible de com-
poser un autre spectacle. Cette résolution soudaine jeta le
LE THÉÂTRE A LYON II9
trouble parmi les comédiens^ et Talma voulut en connaî-
tre la cause : — « Ce n'est pas d'un canari que vous avez
l'air, — lui dit-il, quand il eût appris l'hésitation de sa
camarade; — vous ressemblez à une topaze... Et n'êtes-
vous pas déjà le diamant de la Comédie-Française ? »
Vaincue par ce madrigal en prose, qui sentait son Dorât,
M"*^ Mars, qui appréciait le goût de Talma, consentit enfin
à jouer. Peu à peu, le reste d'inquiétude qu'elle éprouvait'
encore se dissipa devant le murmure flatteur des loges et
du parterre. Le lendemain, le tout Paris d'alors s'entretenait
de. la robe jaune, et, huit jours plus tard, il n'était pas un
salon qui n'en offrît une semblable. On ne dit pas si le fa-
bricant lyonnais fit fortune ; il faut avouer qu'il n'avait pas
été trop mal avisé.
Mais, c'est déjà sortir des bornes que nous nous étions
fixées. Qu'il nous suflSse, à cette heure, d'avoir assemblé
quelques matériaux épars et apporté cette modeste contri-
tributio.n à l'histoire d'un grand siècle et d'une grande ville.
Il y a de longues années que les érudits et les publicistes
fouillent, avec un zèle infatigable, les moindres recoins de
nos archives nationales. Toutefois il reste beaucoup à faire
pour l'histoire intime et morale, littéraire et artistique de
nos villes de province. Aussi bien, n'est-ce pas trop des
efforts de tous pour atteindre le but souhaité, et ne faut-il
pas dédaigner les plus humbles travaux.
APPENDICE
De ce monde de comédiens célèbres, de cette société
brillante qui, au xvm* siècle, a donné à Lyon tant de
charmes, de ces faits dont quelques érudits ont gardé le
souvenir, il ne reste qu'un seul vestige : c'est la maison de
campagne qui appartint à M"*" Lobreau, l'ancienne direc-
trice de nos théâtres, villa charmante, si bien nommée la
FleuriCy aujourd'hui propriété de M. Fougasse, membre de
la Chambre de commerce, président du conseil général des
hospices et l'un de nos plus honorables négociants.
La Fleurie existe encore, avec ses frais ombrages, sur le
coteau de Sainte-Foy, au-dessus de ce chemin des Etroits,
que les Confessions de Jean-Jacques Rousseau ont rendu
célèbre. A l'époque où écrivait Rousseau, le parc, penché
du couchant au levant, allait du château de Sainte-Foy
jusqu'au Rhône. Aujourd'hui, fort diminué ^ il ne s'é-
tend plus que de la Saône, — puisque le confluent des deux
rivières, ayant été repoussé de deux kilomètres, la Saône a
remplacé le Rhône, le long du chemin des Etroits, — il ne
s'étend plus que de la Saône, disons-nous, jusqu'au nou-
veau chemin de Sainte-Foy, à moitié flanc de la colline ;
bien au-dessous du château détruit, au nord, il est borné
par la demeure d'un savant orientaliste, M. Gaspard Bellin,
juge au Tribunal civil, et, au midi, par le parc de M. Pe-
122 ^ APPENDICE
risse, le Nestor de la librairie, dont les jardins furent plantés
par Le Nôtre et dont le château est un des plus magnifiques
des environs de Lyon.
La maison Lobreau, bâtie sous Louis XV, a été elle-
même modifiée et l'aile habitée par l'ancienne directrice, du
côté du levant, n'existe plus. Un- élégant châtelet, bâti sur
les plans de M. Benoit, s'élève aujourd'hui au milieu du
parc, au centre de beaux massifs d'arbres et de verdure, et
ouvre ses fenêtres sur la ville, sur nos deux fleuves, la plaine
du Dauphiné et la magnifique chaîne des Alpes, qui court de
la Suisse à la Provence. Q.uant à l'habitation Lobreau, qui
n'est plus en rapport avec le goût moderne, elle est aban-
, donnée à l'extrémité nord du parc, découronnée d'un étage,
^nutilée d'une aile, et n'a au-dessus d'elle qu^une petite
,tour, qui lui donne un cachet d'originalité. Modeste comme
laxiemeure d'un artiste ou d'un sage, elle a l'air de vouloir
.se dérober aux regards,- plutôt que de se mettre en évi-
dence comme les heureuses et coquettes habitations de
l'opulence et du plaisir.
Devant sa façade, s'étend une belle allée de charmilles,
un peu éraondée aujourd'hui, mais autrefois touffue et qui
a vu se promener jadis, sous ses arceaux ombreux, les élé-
gants seigneurs, les hommes de lettres, les intelligentes
et belles actrices .du xviii* siècle. Lekain, Fleury, Larive.y
oubliaient leurs grands rôles et leurs grands airs, tandis que
la Clairon, la Saint-Huberti, les Sainval s'y reposaient des
compliments et des bravos, en cueillant des pâquerettes
.ou en contemplant la grande nature dans une de ses plus
admirables manifestations.
A 'la suite de ces élégants et sympathiques personnages,
se ,dresse le souvenir d'une figure qui fut plus tard terrible
et qui n'était alors qu'aimable et intelligente. CoUot d'Her-
bois, acteur aimé des Lyonnais, venait souvent aussi, lors-
APPENDICE 125
qu'il était pendcttihaire de M*"* Lèbreâu, se .promener avec
sies camarades dàils ces paisibles aveaities. En admirant ce
splendide paysage,- et la riche cité couvrant l'Europe de la
soie de ses métiers^ le futur président dé la Convention sen-
tait-il déjà, dans son cœur,' ces fenncnts: de jalousie et de
haine qui, un jour, lui faisaient dire, au comité de Salut-
Public : « Il ne faut rien xléportcr ; ! il faut détruire' tous les
conspirateurs. Q.ue les lieux où ils sont détenus; soient mi'-
înés, que la mèche' soît tôu^trarsîrikiméç,: pour les faire "sau-
ter, si eux ou leurs partisans osentrencore conspirer contre
la République. » Et à proplos de Lyon : « C'est à coups de
foudre que la patrie doit frapper ses ennemis Tout
ce que le crime et le vice avaient élevé sera anéanti et, sur
les débris de cette ville superbe et rebelle le voyageur
verra quelques monuments simples élevés' à la mémoire des
amis de la liberté. »
S'il est certain que le futur président de U Convention est
venu, à diverses reprises, se distraire et se reposer au milieu
de la société charmante qui fréquentait /^ F&wm, et si ses
pas sont empreints assez profondément dans le sable de ses
allées, pour ne jamais s'effacer, il est non moins avéré
qu'un autre destructeur de Lyon, Couthon, parut aussi sous
ces frais ombrages, mais dans des conditions tout à fait dé-
sastreuses. Ce n'était pas, en effet, pour prendre du délasse-
ment et du repos, comme Collet d'Herbois, que le terrible
cul de jatte auvergnat se fit, à diverses reprises, porter pen-
dant le siège à la Fleurie i c*était pour juger, par lui-même,
si son oeuvré defdeîâtruction et de ruine avançait.
Pendant que Dubois-Crancé dirigeait ^ensemble des opé-
rations, de son quartier général, ai^de^sus de Saint-Clair,
en vue du Rhône, Côûthon avait été - chargé d'enserrer
la place, du côté du midi et, pour anéantir lesi quartiers
de Perrache et de EeUecour, c'^était 'sut^ ies teirasses de
121 APPENDICE
la Fleurie qu'il avait dressé une de ses i'edoutables batteries;
Des hauteurs de Sainte-Foy, qu'il habitait avec ses col-
lègues Delaporte et Maignet, il se faisait porter tous les jours
à la villa, d'où il pouvait suivre plus commodément
les progrès de l'attaque, voir le ravage des boulets, la
consternation des Lyonnais^ qui renonçaient à se défendre,
et se repaître des plus désolantes scènes dont puisse gémir
l'humanité
Pour se distraire, les artilleurs de la batterie, dans leurs
moments d'inaction, sans doute par manière de passe-
temps,, s'amusaient, du bois de leurs écouvillons, à mutiler
deux sphinx en pierre d'un très-bon style, qui, accroupis de
chaque côté de l'escalier, gardent encore aujourd'hui le
passage, entre l'allée de charmilles et les pelouses inférieu-
res et montrent au promeneur ému des blessures qui n'on,t
point été faites par le temps.
Ainsi, après les échos joyeux, que de lugubres souvenirs
se rattachent à la Fleurie !
Un fait encore, et non le moins douloureux, paraît s'y
être accompli.
La bibliotheque.de la ville de Lyon, fonds Coste, possède
deux pièces capitales, qui ont trait au siège de notre mal-
heureuse cité ; c'est l'acte de sommation des représentants
du peuple aux Lyonnais, d'avoir à ouvrir leurs portes à l'ar-
mée républicaine, sous peine d'une complète destruction.
. Cet acte est double ; un seul exemplaire fut envoyé.
. Le premier, du 7 octobre, écrit avec élégance et préten-
tion, est de la main d'un secrétaire ou d'un fourrier. Outre
te sceaVi en cire rouge des représentants du peuple, il porte
Jes signatures autographes de Couthon, Delaporte et Mai-
gnet, il est daté de Sainte-Foix (5/V), huit heures du matin;
.il ordonne aux Lyonnais d'avoir à ouvrir leurs portes avant
.dix heures.. Deux ou trois fautes d'orthographe le déparent.
APPENDICE 125
Il compte autant de ratures. Etait-il trop tard pour envoyer
cette pièce? N*osa-t-on pas présenter aux Lyonnais une som-
mation raturée? Quoi qu'il en soit, elle ne fut pas expédiée.
L'autre, écrite entièrement de la main de Couthon, sur
papier grossier, mais sans faute d'orthographe et sans rature,
est également signée de Couthon, Maignet, Delaporte. Elle
est également revêtue du sceau de cire rouge des représen-
tants du peuple. Elle est écrite à la hâte, d'une main agitée
et frémissante, comme si elle eût été formulée, non dans
un cabinet, mais en plein air et aux ardeurs de la poudre;
C'est la pièce authentique, celle qui fut présentée aux Lyon-
nais consternés. Elle se termine par ces mots : « Au quar-
tier général de Sainte-Foix (sic) le sept octobre 1793, Tan
second de la République une et indivisible, à dix heures du
matin. »
Puisqu'une batterie avait été étabUe, par les ordres dé
Couthon, dans cette fameuse allée de charmilles de la
Fleurie, qui nouç interdit de supposer que Couthon, avide et
curieux de voir la fin du siège, s'était fait porter sur ce point
si favorable pour contempler les ruines de la ville fumante
et que c'est là, dans cette allée, sur un tambour peut-être,
ou sur la balustrade de la terrasse, que la terrible sbmmar
tion a été écrite, pour annoncer aux Lyonnais terrifiés que
si, à midi, toute résistance n'avait pas cessé, le bombarde-
ment recommencerait jusqu'à ce que la ville fût anéantie.
Si l'histoire exacte n'afiirme pas ce fait, il est permis 'de
l'avancer à titre d'hypothèse, et tout peintre d^histoife
pourra, sans être accusé de légèreté et de mensonge,
représenter un groupe d'ofiiciers républicains autour de
la batterie, Delaporte et Maignet avec une escorte, et
Couthon, dans son fauteuil, écrivant la sommation aux
Lyonnais, à l'abri des mêmes ombrages qui avaient vu na-
guère Lekain, Larive. et Clairon.
126 APPENDICE
Cest avec ce mirage dans l'esprit, qu'on peut se prome-
ner aujourd'hui encore, au milieu de ce parc où. rien n'est
changé que les personnages. La tradition a conservé le ca-
dre et les accessoires du tableau. A l'extrémité de Tallée de
charmilles se voient toujours^ ainsi qu'au siècle dernier, les
bouquets de peupliers dressant leurs colonnes de verdure.
Si les arbres eux-mêmes ont péri, les groupes ont été con-
sentes avec soin, tels qu'ils sont cités et décrits dans les
actes de 16x3 et les écrits du temps. Leurs cimes élancées
coupant toujours l'horizon et donnent, en s'élevant au-
dessus des massifs voisins, le même charme saisissant qui
faisait rêver les belles dames et les spirituels cavaliers à qui
M"*Lobreau faisait les honneurs de sa retraite.
Au delà des peupliers est la limite de la propriété ; mais,
ce qui dénote un goût exquis de la part des propriétaires,
la séparation qui court entre les deux parcs n'est qu'un
simple buisson fleuri, barrière amicale, toute de convention,
qui n'ôte pas la vue, n'arrête pas la pensée et n'oflâre aux
yeux qu'une succession de bouquets d'arbres et de vertes
pelouses, comme si on avait l'immensité devant soi.
Au-delà de Belh-Rive^ l'opulente habitation Périsse, on
aperçoit la Maison GrisCy illustrée par le séjour de deux
éminents personnages dont Lyon a le droit d'être fier,
Thierry, le statuaire, et Cailhava, le bibliophile si connu.
Dans le fond, s'élèvent les collines dlrigny et plus loin en-
core, au milieu des brumes et des nuages, les cimes célèbres
du Mont-Pilat.
Mais la Fleurie possède encore d'autres souvenirs et
d'autres charmes. Sa plus séduisante attraction consiste en
une galerie de portraits des principales actrices de la troupe
de M"** Lobreau, et le bienveillant propriétaire du petit
château ne refuse point d'admettre à la voir les visiteurs cu-
rieux, qui en sollicitent la permission.
APPENDICE r27
Cette précieuse collection se compose de quatorze pas-
tels.
Douze de ces portraits, grandeur demi-nature, représen-
tent les dames les plus fêtées, les étoiles, comme on dirait
aujourd'hui, de la troupe de M™^ Lobreau. On retrouve
le faire de l'école de Boucher, dans ces figures coquettes,
un peu maniérées, qui ont posé avec le désir évident d'être
trouvées jolies. L\me tient une fleur, l'autre prend son
café ou son chocolat, toutes minaudent et roucoulent
comme si un beau cavaHer leur contait fleurette. Malheu-
reusement, le nom de ces beautés est inconnu : QjLiant à
celui de l'artiste, on peut supposer que c'est Bréa, de Paris,
qui a eu soin de joindre son adresse de peintre-encadreur
au dos de chaque portrait. Artiste prudent et que la gloire
ne grisait pas, Bréa ne dédaignait point de proclamer qu'il
était aussi fabricant de cadres, heureux de joindre aux pro-
fits que ses crayons lui donnaient, les bénéfices d'une plus
modeste industrie.
Mais, à côté de ces douze portraits, dont la principale va-
leur vient des souvenirs qu'ils rappellent, on admire deux
grands et beaux portraits, véritables œuvres d'art, signés
Barois et datés de 1775 .
L'un représente une jeune femme d'une rare beauté,
d'une grande élégance, des plumes dans les cheveux, des
diamants aux bras et au cou et revêtue d'un costume d'ap-
parat, tel qu'on le portait sur la scène ou à la cour.
Cette femme était-elle M"* Lobreau, M'^^ Clairon ou
quelque autre célébrité du temps ? On ne pourrait le sa-
voir, faute de meilleurs documents, qu'en comparant cette
tête admirable aux collections de la bibliothèque nationale.
A qui s'adresser? A M. le conservateur des estampes?
Ce mystère peut et doit se révéler.
L'autre portrait est celui d'un homme jeune et dis-»
Ùngué, plus richement vêtu qu'un marquis t
cour. La tête expressive n'est pas celle d'u
gneur. Elle rappelle l'acteur qui voit, ebserv
pénètre d'un personnage, joue les rois et les
n'en est pas un.
Qpel est celui de nos acteurs célèbres qui a laissé un tel
souvenir i la Fleurie? Comme pour le portrait précédent,
le mystère n'est pas insondable. Les deux portraits envoyés
h. Paris seraient bien vite reconnus.
Ces œuvres magistrales sont précieuses et devaient être
signalées. On dit que le propriétaire de la Fleurie, homme
d'esprit et de goût, veut donner à cette galerie une place
-digne d'elle. C'est un service qu'il rendra aux arts de la
peinture et du théâtre, comme i l'histoire de la cité, de
notre chère cité, si heureuse quand on lui conserve les
vestiges de son glorieux passé.
TABLE
I
Pages
L*Opéra à Lyon. — L'Académie Royalp de musique. — La salle
de la rue du Garet. — La salle de Bellecour. — Le théâtre
du Gouvernement; — Direction de Legay et de M^e Des-
niarets 3
II
Le Théâtre des Terreaux. — L'Académie des Beaux-Arts et le
Concert des Cordeliers. — Les nouveaux directeurs : Maillefer,
Monnet, Préville. — Le carnaval de 1750. — Artistes lyon-
nais. — Le plan de Soufflot 11
III
Inauguration du nouveau Théâtre. — Clairon et Lekain. —
Brizard, François Auge, Grandval. — Les Fourberies de Scapin
aux G|Bnds- Capucins. — Un succès de larmes. — Les Affiches
de Lyon. — Direction de M™e Lobreau. — Fleury, Larive,
Mlles Sainval 24
IV
La Vestale. — J.-J. Rousseau à Lyon. — Le Concert, de 1760
à 1770. — Horace Coignet. — Première représentation de